Sadibou, le jeune homme qui voulait être heureux
Publié le 27 Janvier 2014
Que lui restera-t-il de sa vie d’avant qu’il vient de quitter définitivement ? les pleurs de sa mère et sa dernière étreinte, le regard de son père qui au nom de croyances ancestrales et de sa virilité s’est durci s’efforçant de ne rien montrer, les baisers de ses frères et de sa petite sœur Mariama de 4 ans, Pourra t’il les revoir un jour ?
Dans la demi-pénombre du soir qui tombe, Sadibou a quitté la plage de Ngor avant la marée basse, très rapidement, trop rapidement. Il aurait voulu que ce moment tant attendu, qui lui sembla si court, durât plus longtemps pour pouvoir s’imprégner de l’image des lumières de Dakar et de l’île de Gorée s’éloignant pour toujours.
Depuis combien de jours, était-il sur cette pirogue tassé au milieu de ses compagnons d’infortune ?
En fin de nuit le vent se renforce sur la mer, la pirogue tangue sur les vagues ; il n’a pas peur, il est habitué aux caprices de l’océan pour avoir pêché avec son père sur ces mêmes embarcations quand il y avait encore assez de poisson pour nourrir toute la famille. Sadibou regarde le ciel rosir dans les prémices de l’aurore. Le soleil sort timidement de son bain nocturne. Dans l’horizon qui s’illumine, un paquebot géant des mers remplis de touristes se découpe. Il les envie un moment. Eux aussi veulent quitter quelques temps des lieux connus et leur quotidien pour des destinations de rêve pense-t-il soudain. Peut-être un jour quand il aura gagné beaucoup d’argent en France, il pourra faire un tel voyage. Il s’en veut aussitôt de cette pensée. Il s’interdit maintenant de rêver à long terme, d’en vouloir plus alors que pour le moment il n’est même pas certain d’arriver à destination.
Le vent se renforce encore. Certains de ses compagnons sont malades : le manque de sommeil, le froid, la peur, le mal de mer. L’arrivée est proche si l’on en croit le passeur. Ils ne pourront pas tenir bien longtemps. En attendant, Sadibou résiste, chante de vieilles chansons sénégalaises, raconte des histoires pour réconforter ses compagnons : tuer le temps, chasser la peur.
Les vagues sont de plus en plus hautes et heurtent violemment la pirogue…. Le souci de l’instant tenir, tenir encore… Chanter de plus en plus fort, se serrer les uns contre les autres pour se réchauffer….
Un jour passe, une nuit puis un autre jour et soudain la côte espagnole apparait, ils vont débarquer sur la plage qui s’approche, s’approche…. Ils ont réussi. Sadibou devrait être gai mais il pleure, il pense à tous ses hommes et femmes, certains des amis, qui n’ont pas eu cette chance et ont péri en mer pour avoir voulu être heureux.
Martine / Janvier 2013
écrit pour le défi 115 des croqueurs de mots
avec les 10 mots que le hasard m'a désigné dans mon livre de chevet "l'homme qui voulait être heureux" de Laurent Gounelle un tout petit roman dont je recommande la lecture, c'est une vraie leçon de vie.