Ecouter la vie
Publié le 27 Mars 2014
Je vis face à la mairie d’un ancien village au cœur d’une grande ville. Depuis que je suis ici, j’aime regarder à travers les vitres sans rideaux les gens passer indifférents devant moi.
Parfois il arrive que quelqu’un s’arrête et franchisse le seuil. J’écoute alors mes visiteurs raconter leur vie mais c’est comme s’ils ne s’adressaient pas vraiment à moi mais qu’ils parlaient à quelqu’un d’autre juste pour le plaisir de parler. Cela ne me gêne pas, bien au contraire, je peux ainsi mieux les écouter parler de leur vie. Ils ont tous un besoin de partager les bonnes nouvelles comme les mauvaises. Certains parlent d’amour avec des mots tendres pour l’aimé absent mais si présent. Les mots d’amour font parfois place aux mots de haine si violents. Certains parlent tout simplement de leur quotidien, du temps qu’il fait, des tracasseries administratives, ou professionnelles. J’ai appris ainsi en écoutant à comprendre l’âme humaine et la vie avec ses joies et ses douleurs. Je suis un peu comme un psychanalyste qui se contente d’écouter les gens couchés sur son divan, à absorber telle une éponge la vie des autres juste pour leur permettre de parler et d’échanger. Je suis utile, c’est ma fierté.
Un jour un SDF est rentré chez moi et il a squatté ma petite maison, Il avait trouvé ainsi un abri bienveillant pour le protéger des frimas de l’hiver, je me sentais moins seul même s’il dormait la plupart du temps et éructait parfois quelques paroles incompréhensibles. N’ayant pas d’odorat cela ne m’aurait pas gêné s’il n’avait pas empêché mes autres visiteurs de venir. Sa présence les éloignait et ils avaient dû trouver une autre oreille attentive pour les écouter.
Un jour mon amis SDF a disparu. Mes visiteurs sont revenus rapidement. Ayant manqué certains épisodes de leur vie, J’ai eu du mal à comprendre les changements brutaux. Parfois Les larmes avaient remplacé les rires. Le bonheur serait-il éphémère ? Peut-être mais le malheur aussi pouvait l’être car parfois les rires avaient remplacé les larmes.
Petit à petit mes visiteurs se sont fait rares, je ne comprenais pas pourquoi. Je vieillissais, peut être que mon écoute était moins bonne, peut- être avaient-ils moins besoin de communiquer.
Un jour un orage violent s’est abattu sur le village, un Monsieur a franchi le seuil de chez moi pour s’abriter de la pluie. Il a sorti de sa poche un petit boîtier noir avec un écran et s’est mis à lui parler et alors j’ai compris que j’étais à la retraite, en quelque sorte aux abonnés absents, en entendant les paroles qu’il a prononcées « Chérie j’aurais un peu de retard, il pleut très fort, je me suis abritée dans une cabine téléphonique ».
Martine / Mars 2014 pour la petite fabrique d'écriture d'azacamopol