Les jeux sont faits
Publié le 6 Octobre 2014
C’est la première fois que je vais à la Bourboule. Je n’aime pas cette ville thermale trop bourgeoise, trop clinquante mais, addiction aux jeux de hasard oblige, je dois absolument, avant de la quitter ce soir, tester son casino un des seuls que je ne connaisse pas en France, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai fait ce détour et j’ai déboulé à La Bourboule en ce soir de Noël sur la route d’un ailleurs que je ne connais pas.
Un employé du casino après avoir vérifié mon identité me laisse me diriger vers la caisse, J’achète des jetons pour la boule et les machines à sous. Par quel jeu vais-je débuter ? Les machines à sous me tentent. Comme l’enfant que je suis restée au fond de moi. Je ne me lasse pas de voir tourner ces grands rouleaux avec des figurines de couleur et d’entendre le bruit métallique si grisant des jetons qui tombent dans le réceptacle de métal. Je jette un œil sur le jackpot des bandits manchots sur l’écran lumineux : 96 477 euros.
Je décide de débuter par la Boule, normal à la Bourboule. J’observe le croupier, les joueurs avant de miser. Je me rapproche du tapis de jeu, le deux vient de sortir. Nous sommes encore le 24 décembre, je suis né le 4 avril 1944, j’ai l’intuition que le quatre va sortir immédiatement après le deux.
Le croupier d’un ton assuré lance le sempiternel « Messieurs faites vos jeux » Je m’empresse de mettre ma mise de 500 euros sur le quatre. Les autres joueurs misent certains impulsivement, d’autres en hésitant.
« Les jeux sont faits » retentit soudain. Le bouleur observe les joueurs. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai une intuition soudaine Noël c’est le 25 décembre et non le 24. je change ma mise pour la mettre sur le cinq. Le bouleur envoie la boule dans le plateau en prononçant « rien ne va plus ». Je regrette aussitôt d’avoir changé, il est trop tard. J’observe la révolution de la boule à en avoir le tournis. C’est très grisant pour moi de voir une boule tomber et ne pas savoir dans quel godet elle va s’arrêter, plus jouissif encore que le bruit des pièces tombant dans les machines à sous. Je rêve d’être bouleur, quel pouvoir de jeter une boule et de donner ainsi bonheur ou malchance.
Je suis guilleret ce soir, je chantonne une chanson de ma composition
Le Bouleur a lâché la boule
Soudain, libre, elle se défoule
Elle roule, roule, et se saoule
Je la recherche dans la foule
Au secours j'ai perdu la boule
au casino de la Bourboule
Non je ne l’ai pas perdu la boule, elle est bien la devant moi entrain de tourner, soudain elle ralentit sa course effrénée je continue de chantonner en sourdine
Il est près de minuit La boule hésite entre le quatre et le cinq, elle semble préférer le quatre mais s’arrête définitivement sur le cinq. J’ai gagné 7 fois ma mise de quoi passer la nuit dans un hôtel de luxe. Il y avait longtemps que je n’avais pas gagné et cela m’incite à continuer. J’ai l’habitude de choisir une machine qui n’a pas laissé couler son flot de pièces depuis longtemps.
Une vieille dame s’excite sur une machine depuis au moins une demi-heure sans qu’elle n’ait été récompensée de son assiduité. Elle renonce et change de machine. C’est certain si cette machine doit donner ce soir c’est maintenant. J’introduis mon jeton de cinq euros, appuie assurée sur le bouton….Silence et puis soudain un bruit métallique en cascade celui des jetons tombant dans le réceptacle, le bruit ne se termine pas. Ils tombent, tombent, tombent. Un dernier choc métallique. Tout les joueurs se tournent vers moi et j’entends des « le jackpot », « le jackpot ». Sur le coup je suis stupéfait, est ce que je ne rêve pas je viens de remporter le jackpot du casino qui clignote sur l’afficheur : 994738 euros.
Je ramasse mes jetons tombés dans le réceptacle sans les compter. Les joueurs se lèvent m’entourent ; Je me lève me dirige vers la caisse. Le Directeur du casino me félicite et me fait un chèque du montant de tous mes gains ce soir plus de 100.000 euros en une soirée.
J’ai eu la chance du débutant. Je pense à l’amertume de la vieille dame qui a eu un malaise quand elle a vu que la machine s’est vidée une fois qu’elle l’a quittée. « Le bonheur des uns fait le malheur des autres ».
Je sors du casino et me dirige vers ma voiture sur le parking. Je suis tout excité d’avoir gagné mais frustré d’avoir décidé d’arrêter de jouer à tenter le hasard mais aujourd’hui la chance ne me sourira plus et je risque de perdre. Néanmoins je peux encore jouer avec le hasard sans perdre un seul euro… C’est décidé je ne resterai pas à La Bourboule ce soir et je me dirige vers l’autoroute A 89.
Je passe sur un pont qui domine l’autoroute. Il n’y a personne en ce soir de Noël dans cette zone rurale. Je m’arrête sur le pont et regarde les voitures passer en dessous. Je reste là fasciné par ce spectacle des feux des voitures qui trouent l’obscurité d’une nuit glaciale d’hiver. Des gens rentrent de leur réveillon. D’où viennent-ils, Où vont-ils qui sont ils ? Ont-ils un jour eu de la chance ou la malchance les poursuit-elle ? Je me soustrais à regret de ce spectacle et de mes pensées, ouvre le coffre de ma voiture, en sors une lourde boule métallique, un poids à lancer, ferme le coffre et regagne mon observatoire et me mets à compter les voitures :
Un, deux, trois, …. Quelques secondes sans voiture. Deux voitures arrivent au loin, une évolue à très grande vitesse et double l’autre avant de passer sous le pont, je crie quatre. Bien lui a pris de doubler. Je me concentre et juste le temps qu’il faut avant que le véhicule cinq passe sous le pont je lâche la boule crie « les jeux sont faits !», elle atteint le pare-brise, un bruit de verre brisé, un cri dans la nuit puis un grand bruit de choc métallique.
Le bouleur, ainsi m’ont surnommé les médias, n’a pas raté son coup aujourd’hui comme cela peut lui arriver parfois.
Le cinq gagne à tous les coups ce soir.
Martine pour le défi des croqueurs de mots N° 131