Résilience quand tu nous tiens
Publié le 23 Février 2015
Encore dans le ventre de sa mère, elle fait déjà de la résistance. Elle est bien dans son cocon douillet, elle veut y rester Elle sait inconsciemment ce qui l’attend de l’autre côté. Hélas la sage-femme la sort de force avec une grande pince qui la marque au visage et la blesse à jamais au plus profond d’elle-même. Elle devrait crier comme tous les autres bébés, elle ne le fait pas immédiatement. C’est à cet instant là qu’elle apprend à cacher ses émotions, à les intérioriser. Sa résistance a des limites, elle ne peut s’empêcher d’hurler quand on la secoue dans tous les sens. Elle regrette aussitôt ce cri de fureur et rentre en résilience.
Elle est un bébé sage qui pleure peu. Curieuse de tout elle observe avec ses grands yeux noirs ceux qui l’entourent. Elle apprend vite à Marcher et apprécie ce début d’autonomie. « Non » est Le premier mot qu’elle prononce, elle le dit tout le temps. Ses parents s’amusent à lui dire très souvent « allez dit oui » ce à quoi elle répond toujours un « non » catégorique. Ils éclatent de rire. Elle a l’impression d’être un animal de cirque qu’on essaye de dresser. Sa grand-mère qui l’élève et qui la connait bien lui dit « allez fais plaisir à mamie dis-moi non ». Elle lui répond alors avec un grand sourire « oui ». Elle ne peut s’empêcher de sourire à sa mamie qu’elle aime tant mais pour la première fois elle s’est fait avoir et cela lui déplait. Elle comprend alors inconsciemment qu’on peut obtenir beaucoup de choses par l’intelligence et la ruse. A cinq ans elle sait lire mais elle préfère que sa grand-mère lui lise des histoires en la hissant sur ses genoux. C’est la seule personne de qui elle accepte des câlins et des bisous. Elle s’échappe dès que toute autre personne de son entourage essaye de le faire. Sa mère ne le fait jamais peut être qu’elle n’en a pas vraiment envie. Elle préfère croire que sa maman a peur d’être rejetée et elle a raison, elle n’accepterait pas ses bisous. Sa grand-mère l’excuse toujours et répète à tous qu’elle est gentille et qu’il suffit de la connaître et de savoir la prendre.
Ses débuts à l’école sont difficiles, elle sait lire, les autres enfants ne le savent pas et ils la regardent comme un singe savant, un extra-terrestre, alors elle se tait, reste seule dans un coin de la cour de récréation. Au pied de son arbre, elle les observe jouer, crier, rire et curieusement elle ne les envie pas, elle les plaint d’être aussi insouciants. Elle se montre discrète en classe, ne s’exprime jamais sans y avoir été invitée mais écoute avec beaucoup d’attention tout ce que l’institutrice dit, enregistre et mémorise. Elle aime l’école et sa maîtresse qui ne la punit jamais et lui remet souvent des croix blanches et bleues aux jolis rubans qu’elle est contente d’avoir eu mais qu’elle garde dans la poche de son tablier ce qui lui permet de les sentir, les caresser discrètement sans les exhiber. Elle n’aime pas ses distinctions et honneurs qu’elle ne pense pas mériter. Elle a 7 ans. Ses parents la reprennent chez eux. Elle fait connaissance avec sa petite sœur un gros bébé joufflu qui pleure souvent mais pour qui elle se prend d’affection et qu’elle se promet de protéger. Elle va à l’école publique où on ne l’aime pas car elle vient de l’école privée (crime de lèse-majesté à cette époque) et elle a le droit à toutes les brimades : tours de cour, punitions en tous genres. Elle n’accepte pas cette injustice et se rebelle. La petite fille discrète devient très dissipée et rebelle. Un jour une de ses camarades la gifle en classe, elle rend aussitôt la gifle. L’institutrice lui donne à elle seule une punition alors qu’elle avait vu l’autre la gifler. Elle doit conjuguer à tous les temps la phrase « je ne dois pas taper mes camarades ». Elle exécute la punition mais en transformant la phrase en « je dois rendre quand on me tape » que son père signe en se réjouissant d’avoir une fille qui ne se laisse pas faire. Ceci lui vaudra d’être renvoyée de l’école ce qui curieusement la réjouit car elle ne supportait pas d’être harcelée tout simplement parce que ses parents avaient osé préférer l’école des curés à celle de la République dite Laïque. Elle réintègre l’école privée où on la tolère plus qu’on ne l’accepte car chez les curés on n’aime pas les fortes têtes surtout quand leurs parents sont pauvres et n’ont pas les moyens de payer la scolarité. Si son père n’avait pas été un ancien combattant mutilé de guerre engagé volontaire dans la guerre d’Indochine pour aller combattre le communisme on ne l’aurait pas acceptée. Révoltée par les représentants de Dieu, qui agissent en contradiction avec la charité chrétienne qu’ils prônent en permanence , elle cesse de croire en Dieu mais y a-t-elle réellement cru un jour. Elle ne sent aucune affinité avec ses camarades pour la plupart des filles de bourgeois qu’elle trouve superficielles qui ne l’ennuient aucunement car son attitude leur a vite fait comprendre qu’elles n’auraient aucune prise sur elle. Elle retombe en résilience et ne répond pas aux injustices et humiliations en tous genres que certains professeurs lui font subir en classe. Un jour on lui dit devant ses camarades que ses parent s ne payant pas la scolarité, il n’est pas possible qu’ils aient les moyens de lui offrir un microscope à Noël comme elle l’écrit dans sa rédaction car ils n’ont pas les moyens de la lui payer. On lui demande d’emmener ce microscope à l’école pour prouver qu’elle n’est pas une sale menteuse. Elle ne le fera pas car non seulement ce serait humiliant mais aussi elle sait qu’ils demanderaient ensuite à son père de payer la scolarité. Quand un vol est commis dans l’école c’est elle qu’on accuse mais elle ne répond rien et reste stoïque devant l’injustice et les humiliations. Ils veulent la pousser à bout, la forcer à réagir. Elle ne leur donnera pas ce plaisir.
Elle quitte avec bonheur l’école privée pour le collège d’enseignement technique pour préparer un BEP de secrétariat. Elle s’entend bien avec le professeur de français avec qui elle discute souvent après la classe. Elle arrive même à se faire une amie parmi ses camarades de classe, une fille qui se sent aussi perdue et étrangère à ce monde qu’elle. Elles unissent leur solitude.
Son diplôme en poche, elle rentre très vite aussi dans la vie active. Elle se marie avec un résiliant. Ils ont rapidement deux enfants. Elle les adore mais après avoir tant retenu ses sentiments, elle n'arrive pas à les exprimer.
La jeune fille taciturne, solitaire apprend petit à petit à s’ouvrir aux autres mais l’enfant et adolescente rebelle ne s’effacera jamais complètement en elle.
Elle continuera à condamner toutes les injustices dont elles, ses proches sont victimes mais aussi les autres ce qui est nouveau et prouve que sa socialisation est en cours.
Elle abandonne vite le secrétariat pour aider les demandeurs d’emploi à retrouver vite un travail. C’est pour elle une façon de lutter contre une des plus grandes injustices qui soient les licenciements où ce sont souvent les plus fragilisés ou les plus rebelles, ceux qui n’acceptent pas le système, qui en sont victimes.
Elle crée un blog citoyen où elle osera s’attaquer à ceux qui détiennent le pouvoir localement et en abusent souvent. Elle est fière d’arriver à faire déplacer la télévision pour tenter de sauver un commerce en grande difficulté. Elle rentre même en politique chez les verts car elle pense naïvement qu’ils sont moins intéressés que les autres par le pouvoir. Elle quitte les verts pour le modem qu’elle croit un parti modéré ni à gauche, ni à droite prenant le meilleur des idées où elles sont. Elle se rend compte que le centre sera une utopie tant que la majorité de ses représentant seront à droite. Elle se rend compte aussi que l’engagement citoyen à des motivations bien personnelles et que c’est un pseudo altruisme.
Le temps a passé très vite, elle approche des 60 ans et son employeur, dans son projet de rajeunir ses effectifs, lui met la pression pour qu’elle craque et qu’elle vienne en position de faiblesse négocier son départ. Elle résistera à toutes les humiliations et harcèlements subis. Mais tenir ne suffit pas, que serait la résistance sans l’action ? Elle décide alors de le poursuivre en justice et finit par gagner après plus de 3 ans de combat.
Elle prend sa retraite aussitôt après épuisée par ces années de résilience et résistance dont elle ne sortira pas indemne.
Elle mène maintenant une existence tranquille avec son époux et n’a plus aucune volonté de combattre les injustices de ce monde. Elle arrive maintenant à exprimer mieux ses émotions et sentiments. Elle couvre ses petits enfants de bisous et de câlins.
Elle peut enfin penser à elle et à ceux qu’elle aime. Certains qui connaissent sa nature profonde de militante des causes perdues lui font des propositions d’engagement dans des associations caritatives qu’elle refuse. Peu lui importe les autres ils trouveront toujours des militants dans l’âme pour les défendre. C’est très égoïste certes mais elle ne culpabilise pas et profite des petits bonheurs de la vie tout simplement.
Alors vous comprendrez que quand elle a découvert le dernier défi 139 des croqueurs de mots des croqueurs de mots sur la résistance, elle s'est retrouvée bloquée pour y répondre. Elle a décidé avec le texte qui précède d'expliquer pourquoi.