11 juin 2015 : Adam
Adam est guilleret aujourd’hui, Il s’ébaudit et sifflote en marchant sur le trottoir ce qui lui arrive rarement. Il a rendez-vous au café du violon violet avec JADE qui a répondu à son annonce MEETIC. Impatient de la rencontrer mais également anxieux, il ne sait pas grand-chose d’elle. Sur la photo que Jade lui a envoyée, Elle porte un caraco blanc contrastant avec sa peau bronzée et, sur ses cheveux bruns, un étrange galurin de paille à larges bords. Il y a à la fois beaucoup de détermination et de douceur dans son regard ce qui l’a séduit.
Pour calmer son angoisse, il a une soudaine envie de fumer. Il n’a plus de cigarettes. De l’autre côté du boulevard, il aperçoit un bureau de tabac. Sans attendre le prochain passage piétons, il regarde à droite, à gauche pour trouver le moment opportun où il aura le temps de traverser le Boulevard Saint-Germain sans se faire renverser par une automobile. Très rapidement, comme par miracle, le flux s’arrête. les voitures en amont et en aval sont bloquées à un feu de circulation. Il traverse. Sur le trottoir d’en face, le bus 96 est arrêté. Une femme brune portant une robe rouge en descend et traverse la rue à toute allure face à lui comme muée par la colère. Il n’a pas le temps de la dévisager. Elle le bouscule violemment. Sans même s’excuser et s’arrêter, elle poursuit comme une fusée sa course effrénée. Dans la collision son téléphone mobile est tombé et elle ne s’en est même pas aperçue. Troublé et secoué Adam ramasse le smartphone le met dans sa poche et finit de traverser la rue avant que le flux d’automobiles ne reprenne. La femme à la robe rouge est trop loin et il ne pourra la rattraper. Tant pis ! En consultant le mobile, il trouvera certainement ses coordonnées pour lui restituer son téléphone. Il achète un paquet, sort du tabac, allume une cigarette et poursuit son chemin vers le lieu de rendez-vous : ce petit bar sympa qu’il connaît bien.
Pas encore remis de la rencontre choc avec la passante pressée, il continue son chemin et pense à elle et à ce qui pouvait l’avoir rendue aussi furieuse. Où allait-elle si vite ? Il presse le pas tout en continuant à rêver inattentif à ce qui se passe autour de lui. Il manque de se faire heurter par une voiture sortant d’un grand portail en bois. Décidément c’est la journée des rencontres choc. Jamais deux sans trois, il repense à son rendez-vous, peut être une troisième en perspective. Et si Jade ne venait pas, si elle lui posait un lapin. ! Soudain il aperçoit la femme à la robe rouge qui coure sur le même trottoir face à lui, Pourquoi a-t- elle a fait demi-tour ? il l’interpelle pour lui rendre son mobile « Mademoiselle, Mademoiselle, arrêtez-vous » mais elle continue sa route de plus belle. Adam se retourne mais elle court, court. Dépité, Il continue son chemin.
Il est presque arrivé au bar quand il entend une violente explosion au loin. Le troisième choc de sa journée. Qu’est-il arrivé, une fuite de gaz ? un attentat ? Il arrive au bar et y pénètre.
Deux femmes, installées à une table ronde, caquètent et rient bruyamment devant un café qui refroidit . L’une est petite, un peu boulotte, les cheveux courts poivre et sel et l’autre plus jeune, svelte, grande et jolie avec de longs cheveux auburn ondulés. On dirait Josiane Balasko et Victoria Avril dans Gazon Maudit. Attablé seul, Un jeune homme à tête de Hérisson avec sa crête iroquoise brune sirote à la paille une menthe à l’eau et sa solitude. Curieusement, il y a un deuxième verre de menthe à l’eau en face de lui. Il a l’air fort angoissé et en colère comme la passante inconnue qui l’a bousculé. Il attend certainement une femme qui est en retard et qui ne viendra pas. Adam s’installe de façon à voir entrer Jade quand elle arrivera, si elle arrive. Il commande une bière pour se remettre de ses émotions.
En attendant il sort de sa poche le smartphone de l’inconnue à la robe rouge. Par chance la batterie est pleine et il n’y a pas de code d’accès. L’idée qu’il puisse ainsi accéder à l’intimité et à la vie de cette jeune femme le gêne un peu mais s’il veut trouver ses coordonnées, il est obligé de le faire. Il commence par dérouler sur l’écran le carnet d’adresse voir s’il trouve son adresse ou son téléphone. Rien que des noms et des prénoms dans la liste et pas de « domicile », «maison», « moi ». Peut-être a-t-elle saisi ses coordonnées tout simplement sous son nom et son prénom mais comme il ne les connait pas !
Il jette un coup d’œil de temps en temps vers l’entrée du bar pour pouvoir accueillir Jade quand elle arrivera. La reconnaîtra-t-il ? Il continue à explorer le téléphone portable. Il clique sur le logo « messages » pour voir ses SMS. La conscience qu’il rentre encore plus dans l’intimité de l’inconnue le gêne mais aussi l’excite. Que va-t-il découvrir ? Il entre dans le premier échange de SMS.
11 juin 2015 : ZORA
Zora trépigne d’impatience et d’angoisse. Elle a un rendez-vous important et le bus 96 dans lequel elle se trouve est coincé dans une rue parisienne étroite derrière un camion de livraison dont le chauffeur est entré il y a quelques minutes chargé d’un énorme carton dans un immeuble de bureaux. Cela fait au moins cinq minutes et il ne revient pas. Tous les automobilistes deviennent soudain les musiciens improvisés d’un grand concert de klaxon. Tout le monde sauf le conducteur du bus, la cinquantaine grisonnante, qui garde un calme olympien. Zora se dit qu’il doit apprécier ce moment de repos. Cette pensée l’énerve encore plus. Elle se lève et se dirige vers le chauffeur et lui crie énervée :
- Cela fait plus de cinq minutes que nous attendons, sortez de votre bus et allez chercher le chauffeur dans cet immeuble, cela ne peut plus durer.
- Je n’ai pas le droit de quitter mon bus et il va bien finir par sortir. Cela arrive souvent
- Au moins faites comme les autres, soyez solidaire klaxonnez
- Cela servirait à quoi sinon à troubler la tranquillité des passants et des riverains et agacer le livreur qui, par défi, traînera encore plus.
Zora énervée retourne à sa place. Sa voisine de siège, une vieille bourgeoise ridée la toise avec un regard ironique et réprobateur et lui dit avec son accent snob :
- Calmez-vous Mademoiselle, c’est agaçant pour tout le monde de vous voir vous agiter ainsi
- De quoi vous vous mêlez, je ne vous ai rien demandé lui rétorque Zora au comble de l’énervement
La vieille, le regard chargé de haine contenue, hausse les épaules dédaigneuses et se tait. Zora sort son téléphone mobile et écris des SMS pour calmer sa colère, son angoisse et tenir informé son Momo pour qu’il ne s’inquiète pas de son retard.
Le chauffeur livreur sort de l’immeuble en se pressant, rentre dans la cabine de son camion et démarre. Curieusement les passagers du bus applaudissent. « Tous des tarés dans ce bus » pense Zora à voix haute. Qu’est-ce qu’elle est venue faire à Paris ? Elle hait cette ville, ces habitants stressés, prétentieux. Elle le sait trop bien ce qu’elle est venue faire et cela la ramène à la réalité. Et si le sac qu’elle a à ses pieds, elle l’oubliait ici dans ce bus sous son siège avant de sortir au lieu de le déposer où c’était prévu. Elle se vengerait du chauffeur, de la vieille bourgeoise, de tous ces cons. Elle met le sac sur ses genoux. L’ouvre, bricole dedans puis le remet à ses pieds. Elle le pousse discrètement sous son siège et se lève pour descendre à la prochaine avant l’arrêt prévu. Elle se précipite vers la porte et dès qu’elle s’ouvre, jaillit sur l’avenue et se met à courir, traverse le boulevard comme une folle sans regarder. Elle bouscule un grand jeune homme brun qui traversait en sens averse. Elle ne tombe pas et continue sa course de plus belle en se demandant tout de même pourquoi elle court. N’ayant plus de sac à déposer, elle ne sera pas en retard. Au bout de quelques minutes de course, elle s’arrête pour sortir son téléphone de sa poche de robe afin de prévenir son Momo que le paquet est déposé mais pas à l’endroit prévu et qu’elle va le retrouver comme convenu au café du violon violet. Il lui pardonnera ce changement de programme. L’objectif est de tuer, de marquer l’opinion publique et d’engendrer ainsi la peur. Alors que cela soit ici ou ailleurs ! Plus de téléphone dans sa poche droite, elle regarde dans sa poche gauche. Force est de constater qu’elle a perdu son téléphone. Il a dû tomber dans le bus. Elle est perdue. Elle va se retrouver au violon mais pas au café et entrainer Momo avec elle. Il ne va pas lui pardonner, il va la tuer. Elle rebrousse chemin et reprend sa course dans l’autre sens. Sur le trottoir face à elle un jeune homme brun, elle croit reconnaître le passant qu’elle a bousculé en traversant la rue, elle entend vaguement qu’il l’appelle. Peut-être qu’il l’a reconnue et veut lui exprimer sa colère. Elle ne s’arrête pas. Elle doit partir loin très vite, quitter la France, l’Europe.
11 juin 2015 : ADAM
Adam attablé au café du violon violet consulte le dernier échange de messages sur le smartphone de l’inconnue et en débute la lecture :
- Momo le bus est coincé derrière un camion
- Descends Zora, continue à pieds
- Le sac est lourd, j’attends
- Ok, Calme toi, n’ai pas peur
- On redémarre
- Ouf
- Je laisse le paquet dans le bus.
- Pas dans le bus Zora
- Si, Momo
- Non
- À plus au violon violet. Commande-moi une menthe à l’eau.
- Zora qu’as-tu fait ?
- Zora réponds moi !
- Que fais-tu Zora ?
- Zora, j’ai entendu une explosion, réponds moi
ADAM est troublé, il se tourne vers l’iroquois aux deux menthes à l’eau qui semble de plus en plus énervé. Il est toujours seul. Serait-ce lui le Momo de son inconnue et quel est ce paquet laissé dans le bus ? il se souvient soudain de l’explosion entendue ! Il frémit. Non ce n’est pas possible. Il reprend le smartphone de l’inconnue, une alerte d’informations s’affiche « Attentat à Paris, explosion du bus 96. Plusieurs morts ». Il blêmit et se tourne vers l’Iroquois qui regarde paniqué l’écran de son portable. Il est pâle de surprise, vert de colère rentrée, vert comme ces deux menthes à l'eau et rouge comme la robe de cette Zora et du sang versé. Adam prend conscience qu’il ne faut pas rester dans ce café à côté de ce terroriste, il faut partir et prévenir aussitôt la police. Il prend son propre portable et envoie un SMS à Jade pour lui dire qu’il l’a attendue comme convenu et que, ne la voyant pas arriver au bout de vingt minutes, il s’en est allé. Il paye sa consommation et quitte rapidement le café. Mais que vont penser les policiers ? Il aurait dû, immédiatement, aller leur porter ce mobile et on va lui reprocher d’avoir consulté les messages. Il le rendra de manière anonyme en effaçant ses empreintes. Il rentre chez lui abattu et triste de n’avoir pas pu rencontrer Jade. Sans l’avoir jamais vue, il croit bien qu’il est amoureux. Il ressort de son portefeuille la photo de Jade et la regarde ému. Demain il l’appellera.
18 juin 2015 : ADAM
Cela fait une semaine que l’attentat a eu lieu. Adam comme chaque matin au petit déjeuner consulte son quotidien « le Parisien » qui publie la liste des 22 victimes de l’attentat du 96. Adam la consulte avec beaucoup d’émotion même s’il ne connait pas toutes ces personnes qui étaient ce jour-là au mauvais endroit. Il aurait pu être dans ce bus s’il n’avait pas fait si beau et qu’il avait préféré Marcher dans Paris. Soudain il blêmit en lisant « Jade DUPAS – 22 ans ». Il comprend pourquoi JADE n’était pas venue au rendez-vous du Violon Violet et pourquoi depuis une semaine elle ne répondait pas à ses appels incessants. Des larmes coulent sur son visage.
Il retrouvera Momo (alias Mohamed) et Zora et vengera Jade. Il a pris soin, avant de jeter le smartphone de Zora dans la Seine, de relever leurs adresses et coordonnées et celles de toutes leurs relations. Il connait maintenant toutes leurs habitudes.
Martine / Mars 2016 pour le défi 162 des croqueurs de mots (Les mots en gras sont les mots imposés pour ce qui aurait dû être un scénario mais qui est une nouvelle)