Ça me fait une belle jambe
Publié le 23 Octobre 2017
Les années passent, j’ai beaucoup changé,. Mon corps, cette machine, se grippe et s’use. Il aurait besoin de la révision des 90 balais. Il faut que je me rende à l’évidence, je suis une « tamalou »... t'as mal où ? Partout.
Rassurez-vous je n’ai pas encore perdu la vue même si je ne vois et ne dors plus que d’un seul œil. C’est la raison pour laquelle j’ai renoncé à faire de l’œil aux beaux papis de la maison de retraite. Je n’ai pas besoin de cela pour leur taper dans l’œil.
Comme je n’ai plus bon œil, vous pouvez imaginer que je n’ai plus bons pieds non plus, ils sont fourbus pleins de cors. Je n’ai plus besoin de me demander sur quel pied je vais danser : aucun, ils sont foutus tous les deux. Je ne peux plus faire du pied aux papis sous la table de la salle à manger. Pour me venger, je prends mon pied, avec mes ragots, à casser les pieds de mes vieilles copines de la maison de retraite dont beaucoup d’entre elles sont dans un état avancé de sénilité. Quelle chance ! ma langue de vipère fonctionne toujours autant et je ne l’ai pas dans ma poche
Je n’ai pas encore perdu la tête heureusement car sinon je ne pourrais plus faire la tête aux aide soignantes bêtes comme leurs pieds. Je ne pourrais pas non plus tenir tête à ces têtes à claques quand elles veulent me faire boire de l’eau de force. Ma chambre est une étuve l’été et l’hiver je m’y gèle mes fesses toutes rabougries. Ma copine Charlotte me dit que je ne devrais pas dormir nue les fesses à l’air. Elle ferait mieux de se mêler de ses fesses que de s’occuper des miennes.
J’ai le cœur brisé quand certaines compagnes d’infortune avec la bouche en cœur me disent que j’ai un cœur de pierre. Cela doit être pour cela que mon palpitant résiste encore aux assauts du temps et qu’il bat encore la chamade pour Marcel un nonagénaire dynamique et drôle qui me fait rire de bon cœur. Je dis ce que je pense à mes copines et au personnel de cette maison certes mais je suis une grande affective : j’ai le cœur sur la main, façon de parler car mes mains arthritiques ne peuvent plus supporter de porter quoi que ce soit.
Je vous ai parlé de tout ce que j’avais perdu. Maintenant pour finir sur une note positive je vais vous parler de ce que j’ai gagné en vieillissant : LA GRAISSE. A 90 ans j’ai toujours l’estomac dans les talons, la descente d’organe cela ne s’arrange pas avec les années ! J’ai envie de perdre du poids. Je ferais bien un régime mais j’ai peur qu’il soit un bide… vide. Les diététiciens conseillent de manger cinq fruits et légumes par jour mais lesquels. Il y a une différence de taille entre une cerise et un potiron. A mon âge j’ai fini ma croissance et au contraire je rapetisse à vue d’œil et la graisse s’accumule sur le peu de corps qui me reste. A chaque fois avant de monter sur le pèse personne, je me pèse, m’épile et vais aux toilettes pour m’alléger. Je hais le pèse-personne. Je le traite de « sale balance » car il me dit tout ce qu’il devrait garder secret ainsi qu’au médecin qui m’a forcé à me peser. Je suis retombée en enfance ; fini la liberté, je dois obéir au doigt et à l’œil.
Je rêve de m’évader de cette prison pour vieux. Lors d’une des visites de ma fille (elle se font de plus en plus rares), je lui ai parlé de mon envie de quitter cette prison où elle m’a mise de force pour se débarrasser de moi comme on le fait d’un meuble usé qui ne sert plus. Elle m’a répondu que pour mes 90 ans, pour me changer les idées, elle allait m’emmener au soleil avec elle une semaine à Athènes en Grèce…. La graisse quelle horreur. Même si je veux prendre mes jambes pleines de fourmis à mon cou pour me sauver loin d'ici, tu comprendras, ma pauvre fille, qu’aller en Grèce continentale même pas en Crète ou je pourrais faire le régime crétois «Ça me fait une belle jambe ».
Martine / Octobre 2017 pour le défi 193 des croqueurs de mots que j'ai le plaisir d'animer