La fille qui aimait les taches
Publié le 25 Septembre 2017
Mon père était teinturier. A tous les sens du mot, il s’est tué à la tâche à détacher et laver en respirant des produits toxiques et en travaillant dans la chaleur torride et moite de sa teinturerie. Quand, atteint d’un cancer du poumon, il m’a proposé de reprendre sa boutique, j’ai refusé. Je sais que je l’ai peiné mais il a compris. Je n’aimais pas ce métier et, même si je l’aidais depuis qu’il était tombé malade, je ne voulais pas vivre toute ma vie enfermée dans une étuve aux effluves toxiques pour satisfaire des clients souvent mécontents et agressifs quand le blanchisseur n'a pas réussi le miracle d’enlever certaines taches anciennes et incrustées. Ce qu’il n’aura jamais su c’est que je me suis mis à aimer de plus en plus les taches, à admirer leurs formes, leurs couleurs et qu’à force je n’avais même plus envie de les retirer.
N’ayant pas repris la teinturerie de mon père, il me faut maintenant trouver un job pour vivre certes mais aussi un métier qui me passionne. Depuis que je suis enfant, j’ai une âme d’artiste. J’aime allier au mieux couleurs et formes. J’aide mes amies à décorer leurs appartements et maisons. Elles me disent que je suis douée. J’aurais pu en faire mon métier, devenir architecte d’intérieur. Hélas je me suis aperçue, en travaillant dans la teinturerie, que je n’aimais pas le contact avec la clientèle. Je suis une solitaire.
Je vais devenir artiste peintre. Je ne sais pas dessiner mais peu importe, je remplirai des toiles désespérément blanches de jolies taches colorées. Avouez que, pour une fille de blanchisseur, c’est original. Je vendrai mes toiles sur internet, dans les marchés de noël et différentes expositions. Petit à Petit je me ferai un nom dans le tachisme .
Je sais que vous allez me dire, qu’avant de gagner ma vie en tant qu’artiste, il va me falloir beaucoup de temps et peut être même que je me tuerai à la « tache » sans devenir célèbre. Vous avez raison c’est pourquoi je fréquente en ce moment les sites de rencontres pour trouver un compagnon qui puisse m’entretenir. Je ne serai pas exigeante il peut être laid, vieux et il serait préférable qu’il soit sot ; seule obligation qu’il soit riche, car comme le dit Paris Hilton, « on a besoin des animaux le jaguar pour la voiture, le vison pour la fourrure et le dindon pour la facture ». Je pourrai ainsi porter un manteau de panthère blanche (j’ai horreur du vison, c’est trop noir) et draguer au volant d’une rutilante Jaguar blanche sur laquelle j’aurai peint des taches colorées.
Martine / Septembre 2017 pour le Défi 191 des Croqueurs de mots .