Une nuit peut en cacher une autre
Publié le 4 Décembre 2017
Une nuit d’été
Jeanne était heureuse. Son papa l’avait emmenée avec elle en week-end. C’était la première fois qu’elle partait seule avec lui et qu’elle dormirait à l’hôtel. Où l’avait-il emmenée ? elle ne s’en souvient plus très bien aujourd’hui.
Ils avaient pris le train, étaient arrivés dans une petite gare. Le voyage n’avait pas duré très longtemps
Dans une grande salle, elle avait assisté à un défilé de belles jeunes femmes en maillot de bain sous le curieux regard de vieux Messieurs et de son papa. Une d’entre elles avait été élu Reine. On lui avait mis une jolie couronne sur ses longs cheveux blonds et passé une écharpe par-dessus sa tête.
Le soir ils s’étaient dirigés vers l’hôtel. Après avoir monté un vieil escalier en bois ils s’étaient dirigés vers une chambre assez grande avec un grand lit double. La perspective de dormir à côté de son papa qu’elle aimait tant à la place de sa maman la réjouissait. Elle se déshabilla, mis son pyjama et se coucha.
Son papa non seulement restait habillé mais avait remis la veste de son costume. Il se pencha au-dessus d’elle, lui fit un gros baiser sur la joue et lui dit qu’il allait s’absenter très peu de temps quand elle dormirait et qu’il reviendrait avant qu’elle ne se réveille. Ce serait un secret entre eux, il fallait surtout qu’elle ne dise rien à maman. Elle ne serait pas seule pour dormir. Il lui tendit son ourson en peluche qu’il avait pensé à emmener. A dix ans, Elle ne dormait plus avec son doudou mais elle le prit dans ses bras en retenant ses larmes de déception. Elle ne devait pas pleurer cela ferait du mal à Papa. Elle avait confiance en lui, il ne pouvait pas lui mentir. Il fallait qu’elle dorme vite et, quand elle se réveillerait demain matin, il serait couché à ses côtés et ils passeraient la journée ensemble.
La journée avait été fatigante, Elle s’endormit vite. Quand elle se réveilla il faisait encore noir. Elle se rappela qu’elle n’était pas chez elle et tâtonna dans le lit pour trouver son papa. Il n’était pas à ses côtés. Elle alluma la lampe de chevet et constata effrayée qu’il n’était pas rentré. Elle se leva, se dirigea vers la fenêtre et regarda dehors. Elle ne vit rien sinon l’obscurité qui l'effraya.
Elle se recoucha vite pour se blottir dans son lit protecteur. Où était-son papa ? Peut-être était- il avec la jolie dame qui était assis hier soir à ses côtés au dîner de banquet et qui lui avait souri. D’habitude elle n’avait pas peur de la nuit, du noir. Au contraire, quand elle ne dormait pas, elle aimait écouter le silence de la maison et rêver éveillée à une vie plus belle avec une autre maman qui aurait su l’aimer. Elle angoissait mais elle faisait confiance à son papa, il reviendrait, il ne pouvait pas l’avoir ainsi abandonnée à moins qu’il lui soit arrivé un accident. Elle pensa un moment à sortir mais elle avait trop peur et ce n’était pas raisonnable. Elle pourrait rencontrer des messieurs méchants qui lui feraient du mal et elle avait promis à sa maman qu’elle ne parlerait jamais à des inconnus. Elle devait donc attendre papa. Elle essaya de se rendormir mais n’y parvint pas.
Son papa revint au petit matin. Il commençait à faire jour. Quand elle le vit entrer dans la chambre, elle fût soulagée mais elle lui en voulait un peu et fit semblant de dormir. Il avait l’air très fatigué. Il retira sa veste, son pantalon et sa chemise et se coucha à ses côtés. Quand ils se levèrent, elle lui demanda s’il avait été voir la jeune dame du banquet. Il acquiesça en ajoutant qu’il ne fallait surtout pas le dire à maman. Elle jura qu’elle garderait le secret mais elle voulait savoir si, comme c'était arrivé au papa de sa petite camarade Catherine, il allait quitter sa mère et partir avec cette dame. Il se mit à rire et lui dit que bien sûr que non. Ils allaient ce soir rentrer tous les deux à la maison et retrouver maman qui les attendait.
26 ans plus tard
Jeanne angoisse, il est 21 heures : son époux n’est pas encore rentré du salon de l’automobile où il tenait le stand de son entreprise. Il n’a pas appelé. 22 heures, il n’est toujours pas là, ce n’est pas normal. Il a dû lui arriver un accident. Elle monte se coucher pour l’attendre dans son lit. Elle se rappelle à ce moment-là une nuit passée lorsqu’elle était enfant à attendre son papa qui l’avait laissé seule dans une chambre d’hôtel. C’est insupportable. Elle redescend dans le salon. Pour tuer l’angoisse elle continue une tapisserie représentant une scène de la belle époque à Paris. Cela la calme, elle se plait à penser que, telle Pénélope, elle attend son Ulysse et qu’il reviendra comme son papa il y a longtemps.
Vers minuit, il arrive dans un état d’énervement inhabituel et lui indique qu’il a rencontré une jeune femme qu’il fréquente depuis 4 ans et qu’il va la quitter. Il a eu beaucoup de mal à choisir mais elle lui a lancé un ultimatum en le menaçant de rompre leur liaison s’il ne la rejoignait pas. Il ne veut pas la perdre et partira demain matin. Quel choc brutal ! Elle lui faisait confiance, jamais elle n’aurait pu imaginer qu’il allait la quitter un jour, cela n’arrivait qu’aux autres. Elle n’avait rien deviné de cette liaison et pourtant maintenant ... pauvre sotte, on ne voit pas ce qu’on ne veut pas voir ! Comment pouvait-il lui avoir menti ainsi pendant longtemps. Elle pleure intérieurement pour ne pas lui montrer sa souffrance. Il allait la quitter pour une autre pas l’instant d’une nuit mais pour toujours. Tout ce qu’ils avaient construit ensemble s’effondrait subitement.
Comme pour en rajouter, il lui déballe, sans précaution, tout ce qu’il a contenu pendant longtemps. Ces reproches, même si beaucoup sont justifiés, lui font beaucoup de mal. Bien sûr elle n’a pas compté ses heures au travail et l’a un peu délaissé mais c’était pour monter dans l’échelle sociale et pouvoir se payer une jolie maison et satisfaire tous leurs rêves de voyage et offrir à leurs enfant une jolie vie.
Elle passe une nuit détestable mais elle n’arrive pas à imaginer qu’il puisse ainsi la quitter brusquement pour une jeunette. Elle l’aime, il faut qu’elle arrive à le retenir.
Le lendemain matin, comme il lui avait annoncé, il sort comme un automate, sans un mot, prend sa voiture Il est tellement perturbé et pressé de retrouver sa maîtresse pour lui annoncer la bonne nouvelle qu’il sort du garage très vite sans regarder autour de lui et tamponne la voiture d’une voisine qui a eu le malheur de passer à ce moment-là. : Juste de la tôle froissée. Il fait le constat et elle pense qu’il va repartir aussitôt après. Sentant qu'il n'est pas en état réellement de conduire, Il ne part pas et reste toute la journée à la maison couché certainement pour ne pas avoir à l'affronter.
Les enfants sont perturbés. Elle leur dit que papa est malade mais elle imagine, qu’au fond d’eux-mêmes, ils savent que quelque chose de grave vient d'arriver mais c’est à lui de leur dire ce qui se passe réellement.
Il ne le fera pas. Il ne rejoindra pas sa maitresse et restera sans lui dire qu’il avait décidé de rester. Ils ne reparleront plus jamais de cette nuit qui l’a marquée à jamais comme l’autre nuit de son enfance où elle avait cru que son papa chéri pourrait l’abandonner et lui préférer une jeune dame.
Martine / Décembre 2017 Défi 196 des croqueurs de mots animé par Colette