Je me souviens de mes jeunes années
Publié le 19 Février 2018
Mon amie Andrée nous demande pour ce 200ème défi des croqueurs de mots d'écrire un texte qui débutera par "je me souviens" . J'avais écrit en août 2011 un texte sur le même thème pour la communauté prête moi ta plume sur mes souvenirs d'enfance avec une comparaison avec aujourd'hui car je vis essentiellement dans le présent et essaye de ne pas penser au passé et encore moins à l'avenir.
J'ai repris ce texte en le remaniant car en 7 ans mon "aujourd'hui" a quelque peu changé. Je travaillais à l'époque, aujourd'hui je suis à la retraite en Vendée et j'ai beaucoup changé. Ma vision de la vie est bien différente.
JE ME SOUVIENS DE MES JEUNES ANNEES
Je me souviens de la minuscule loge de concierge de ma grand-mère dans une pièce unique qui sentait les zestes d’orange qui séchaient sur le dessus de la cuisinière à charbon qui nous chauffait. Dans cette pièce, unique, nous dormions, mangions, nous lavions à l’eau froide dans l’évier. Aujourd’hui mes deux maisons sont grandes, elles ne sentent rien et dans chacune d’elle, j’ai une salle d’eau et une salle de bain. je n’utilise que la salle d’eau car je prends une douche froide chaque matin qui me réveille et me dynamise.
Je me souviens du parfum frais et tenace d’eau de Cologne avec laquelle ma grand-mère me frictionnait avec amour et dont elle s’aspergeait. Aujourd’hui je porte « air du temps » de Nina Ricci, c’est plus sophistiqué mais cela ne vaudra jamais l’odeur de l’eau de Cologne de mon enfance.
Je me souviens de mon papi, même s'il nous a quitté bien vite. Il m'emmenait avec Mamie au Parc Montsouris ou au Jardin des Plantes et allait me chercher de l'eau pour mes pâtés dans le bac à sable. Aujourd'hui avec mon Jeff, j'emmène nos petites filles se promener dans les parcs publics en pensant à eux.
Je me souviens des grands yeux bleus toujours souriants de la marchande de couleurs parisienne et de sa boutique au parfum entêtant de lessive, aux ustensiles en tous genres suspendus au plafond ou jonchant le sol dans un joyeux bazar coloré. Aujourd’hui je me promène dans les allées des hyper marchés aseptisés, aux linéaires et têtes de gondole parfaitement rangés et je ne prends plus le temps de regarder les yeux des caissières.
Je me souviens de l’odeur du pain chaud de la boulangerie où je déposais quelques sous sur le comptoir en demandant timidement « un petit fendu bien cuit s’il-vous-plait madame ». Aujourd’hui je demande une baguette pas trop cuite sans rajouter s’il-vous-plait (car bien sûr cela plait à la boulangère de vendre, elle en vit), mais je dis encore merci
Je me souviens de la crémerie ou nous achetions des yaourts en pot de verre et où nous ramenions ces pots. Aujourd’hui je jette mes pots de yaourt, je jette tout sans prendre souvent le temps de trier.
Je me souviens de ma première poupée Bella que ma grand-mère m’avait offerte quand j’ai eu la rougeole. Je l’avais surnommé Laurence…. Aujourd’hui je n’ai plus cette poupée, ma mère l’a donnée sans m’en avertir quand j’ai eu 14 ans (j’étais trop grande pour jouer à la poupée) mais j’ai une fille qui a 42 aujourd'hui (je me souviens de sa naissance et celle de mon fils les plus beaux jours de ma vie) et trois charmantes poupées à couvrir de bisous. J’aime peigner leurs cheveux longs et bouclés.
Je me souviens de la Samaritaine et son plancher de bois qui craquait sous nos pas, j’aimais regarder et toucher les vêtements et ma mamie m’achetait de jolies robes payées avec les bons de la semeuse… Aujourd’hui mes doigts effleurent l’écran de mon smartphone plus que le tissu et j’achète plus sur internet que dans des magasins.
Je me souviens des timbales aux fruits de mer succulentes de ma grand-mère. Je ne l’aidais pas, je n’aimais pas faire la cuisine à l’époque… Aujourd’hui la cuisine et la pâtisserie sont des passions et je regrette de ne pas avoir demandé ses recettes à ma grand-mère….
Je me souviens du petit cinéma parisien de la rue Boyer baret à Paris où j’ai tant pleuré en silence à côté de ma grand-mère en regardant Mayerling ou autant en emporte le vent. Aujourd’hui je ne vais presque plus au cinéma, je ne supporte pas d’être enfermée dans une salle obscure sans la présence rassurante de ma mamie et l’odeur de popcorn m’écœure.
Je me souviens des romans de Dehli, ou je rêvais que, petite fille pauvre, plus tard j’épouserai un beau jeune-homme riche ou un prince avec qui je serai très heureuse. Aujourd’hui, je l’ai trouvé mon prince, il est charmant et très riche intérieurement. Nous fêterons en juin prochain nos 45 ans de mariage.
Je me souviens de Carmen et la Hurlette dans l’émission radio « sur le banc » de Raymond Souplex et Jeanne Surza… Je ne comprenais pas tout mais j’aimais voir ma grand-mère et mon grand-père rire des réparties de ce couple de clochards philosophes…. Aujourd’hui, j’y pense parfois encore en écoutant les sketches « radio bistrot » d’Anne Roumanov.
Je me souviens du journal France Soir que ma mamie achetait tous les jours, je me précipitais pour voir le feuilleton BD « Chéri Bibi » . Je l’aimais bien ce bagnard antihéros malchanceux mais si sympathique … Aujourd’hui je ne lis plus le journal, je regarde les actualités à la télévision… Je n’aime plus lire de BD mais j’aime beaucoup les dessins de presse.
Je me souviens des jolies croix d’honneur ou de mérite blanches cerclées de métal jaune avec des rubans écossais de l’école Sainte-Elisabeth que je portais fièrement sur mon tablier noir au col Claudine blanc. Je faisais tout pour l’avoir et quand je ne l’avais pas j’étais très triste. Aujourd’hui, j’ai toujours l’esprit de compétition. Je ne me bats plus contre les autres mais contre moi-même pour toujours dépasser mes propres records sportifs (nombre de pas journaliers, de calories brûlées, de temps et vitesse de course). C’est stupide mais je n’y peux rien c’est addictif, il faut toujours que j'ai un combat à mener
Je me souviens des vacances à La Rochelle chez ma grand-tante et ce jour de juillet 1958 où la terre a tremblé. J'avais cinq ans, le plancher vibrait sous mes pieds, la vaisselle dans l'immense armoire en bois vernis tremblait, les verres s'entrechoquaient... Ce fut très court. J'ai eu très peur mais aujourd'hui je m'en souviens encore et je ne supporte pas le bruit des verres qui s'entrechoquent quand je les range dans le lave-vaisselle ou le placard.
Je me souviens de la naissance de ma petite sœur. J’avais six ans, je vivais chez ma grand-mère et cet évènement familial a fait que j’ai dû revenir vivre chez mes parents. J’étais triste mais je n’en voulais pas à ce beau bébé joufflu que j’aimais et qui a failli mourir de la coqueluche quelques semaines après sa naissance. Aujourd’hui j’aime toujours autant ma petite sœur, je reste en contact avec elle sur Facebook mais nous ne nous voyons pas souvent. Nos vies très différentes nous ont éloignées.
Je me souviens aussi des tours de cours avec le bonnet d’âne sur la tête à l’école publique où je suis allée quand je suis revenue vivre chez mes parents. On m’en voulait d’avoir été à l’école privée auparavant et la honte et la rage contre « ces institutrices communistes de l’école publique » comme disait mon père m’envahissaient. Cela a valu mon renvoi de cette école et mon retour dans une institution privée. Aujourd’hui je n’ai plus honte quand on m’humilie et j'ai longtemps luté avec beaucoup de combativité contre toutes les injustices.
Je me souviens de la petite fille solitaire que j’étais qui ne se mêlait pas aux autres et qui les observait adossée au tronc du platane de la cour de récréation. Aujourd’hui j’ai 232 amis sur Facebook dont certains que je ne connais même pas, mais combien de vrais amis ?
Je me souviens de ma mère, sortant d'un grand chou qu'elle avait ramené du marché, un petit baigneur en plastique et me disant "tu vois les garçons naissent dans les choux ». Je n'ai plus voulu manger de chou. Aujourd’hui Je n'en mange plus. En y réfléchissant je crois que si j'en avais mangé quand j'étais petite, j'aurais eu l'impression d'être responsable de la mort de mon frère ainé pendant que ma mère accouchait. Déjà, qu’à l’époque, je me sentais responsable d'exister à sa place.
Je me souviens du marché au timbre en bas des champs Elysées où mon père m’emmenait. J’aimais surtout les timbres avec des fleurs et des animaux. Aujourd’hui je ne m’intéresse plus aux timbres, j’aime les gens un peu « timbrés » sortant de l'ordinaire et j’ai une belle collection de cartes postales anciennes
Je me souviens des autobus parisiens… Je m’installais sur la plateforme arrière et regardait les passants, les voitures. Mon grand plaisir : passer sur le pont neuf et dominer la Seine …. Aujourd’hui quand je suis en Ile de France, je traverse Paris dans le RER ou le métro sous terre et sous la Seine. J’étouffe dans la grande ville.
Je me souviens que lorsque, adolescente, on me demandait quel métier je voulais faire plus tard, je répondais : je veux être sage-femme. Aujourd’hui je ne suis pas sage-femme, mes parents n’ont pas voulu, mais je pense être devenue une femme sage qui a parfois heureusement quelques moments de folie.
Je me souviens de mes premiers flirts dans le bois de Saint Cucufa à Rueil-Malmaison avec Marie Christine une copine de mon école et ses copains. Un dimanche après-midi nous avions malencontreusement croisé le professeur d’anglais de mon école privée. Le lendemain elle nous avait placées près du radiateur en fond de classe en nous disant d'un air narquois, sous le regard hilare des copines, "j'ai vu hier que vous aimiez la chaleur". Aujourd'hui j'ai toujours trop chaud...
Je me souviens de l’idéal anti-communiste de mon père qui l’avait poussé à s’engager dans la guerre d’Indochine et d’en revenir meurtri à vie, de son admiration pour de Gaulle, de ses larmes, le jour de la mort du Général, de ses joutes verbales avec ma grand-mère qui avait voté Le Canuet. Aujourd’hui j’ai beaucoup de mal à me situer politiquement, je suis centriste comme ma grand-mère. Néanmoins les idées de mon père (même si je n’y adhérais pas) sont restées ancrées en moi car j’adorais mon papa qui me le rendait bien peut être pour compenser le manque d’intérêt de ma maman pour la petite fille que j’étais qui n’avait comme seul tort de ne pas être un garçon.
Je me souviens avoir écouté pendant des heures les compagnons de la chanson chanter la chanson "Elle va mourir la mama" (Paroles: Robert Gall. Musique: Charles Aznavour)
Chanson qui se termine par :
Y'a tant d'amour, de souvenirs
Autour de toi, toi la mamma
Y'a tant de larmes et de sourires
A travers toi, toi la mamma
Que jamais, jamais, jamais
Tu nous quitteras …
Ce qui me fait une belle conclusion à cette évocation de mes jeunes années car "c'est en s'éloignant de sa source qu'un fleuve lui reste fidèle"
Mamie, je ne me retourne plus sur mon passé mais tu es mon présent, tu m'as jamais quittée, je pense à toi chaque jour et tout ce que je fais je le fais pour que tu sois fière de moi, toi qui me disait souvent "on fera quelque chose de toi si les petits cochons ne te mangent pas".
Martine / Février 2018