Celui qui veut voyager loin doit-il ménager sa monture ?
Publié le 15 Février 2019
Dans les plaideurs de Racine, Petit Jean le portier reproche à son Maître, le juge Perrin Dandin, de se lever trop tôt le matin en lui disant « Qui veut voyager loin ménage sa monture ; Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure ».
Au 17ème siècle : ménager sa monture c’était manger grassement, boire, dormir. C’était considéré comme bon pour la santé et cela a duré jusqu’au vingtième siècle. Je me souviens de mon grand-père qui m’incitait à manger de la viande rouge que je n’aimais pas trop en disant qu’elle était pleine de vitamines et que si je m’en passais j’aurais des carences.
Aujourd’hui les médias vous assènent à outrance que si l’on veut rester en bonne santé et vivre longtemps, il faut manger peu et sain (bio, vegan…) en tous cas éviter de manger trop de viande, de charcuterie, de poisson, de sucre, de sel, ne pas boire d’alcool et bouger en faisant du sport. Ce n’est pas très gai comme programme.
Au-delà de son sens premier, cette citation est souvent exprimée au sens figuré. Voyager loin veut dire avoir des projets à long terme ambitieux et ménager sa monture signifie qu’il ne faut pas être trop impatient, prendre son temps, réfléchir, se poser, se ménager au lieu de se presser, de s’ essoufler et d’échouer. On peut citer d’autres citations qui se rapprochent
- la morale de la fable de La Fontaine « : Le lion et le rat » « Patience et longueur de temps valent mieux que force ni que rage »
- Paris ne s’est pas fait en un jour
Effectivement pour réussir, aller loin, il faut être patient mais je ne pense pas non plus qu’on y arrive en se ménageant comme le montre le pauvre homme qui ménage sa monture en inversant les rôles et en tirant son âne. Gageons qu’il ne tiendra pas longtemps et n’ira pas bien loin.
Quand j’étais enfant j’ai souvent vu les huissiers venir chercher les meubles pour payer les dettes de mes parents. Pourtant mon père avait un bon travail dans une grande banque assez bien payé et avec des avantages sociaux mais il dépensait tout en des choses superflues et au café aussi hélas et ma mère, au lieu de travailler, restait au foyer. Petite fille pauvre parmi les riches à l’école privée ou l’on m’acceptait par charité chrétienne malgré que ma scolarité n’était pas payée, j’ai connu toutes les vexations des adultes et de mes camarades
J’étais mal partie pour réussir mais je m’étais jurée de m’en sortir de monter dans la hiérarchie sociale. Après le BEPC, j’ai fait des études courtes de secrétariat. J’ai démarré comme sténodactylo. Je n’ai pas ménagé mes efforts au contraire, j’ai été ensuite secrétaire d’un DRH., parfois j’ai travaillé de nuit quand il fallait rapatrier notre personnel de chantier dans des pays en guerre et aller les chercher à l’aéroport avec ma voiture. A la fin des chantiers, j’allais sur place en province, éloignée de mon époux et de nos enfants en semaine pour plusieurs semaines, pour reclasser le personnel local sur place embauché pour les besoins d’un chantier. C’était difficile de se faire accepter notamment par les élus du personnel (tous des hommes) qui voyaient mal une jeune femme venir les reclasser. Ils n’y croyaient pas et ils ne m’ont pas ménagé au début : une femme sur un chantier envoyée par un homme, qui plus est un patron ce n’était pas la meilleure entrée en matière !!!. L’hiver je conduisais sur des routes verglacées, enneigées notamment dans le Cotentin pour aller rencontrer les chefs d’entreprise et leur « vendre » nos ouvriers. J’en ai versé des larmes seule le soir dans ma chambre d’hôtel, mes enfants et mon mari me manquaient mais je continuais et à la fin des chantiers ces délégués syndicaux me remerciaient chaleureusement des résultats obtenus auxquels ils n’auraient jamais cru. D’assistante de Direction, je suis devenue Adjointe sociale puis j’ai quitté cette entreprise pour devenir Consultante emploi dans un cabinet conseil en ressources humaines ou j’ai conseillé des ouvriers, employés et cadres dans leur recherche d’emploi. Je conseillais aussi les Directeurs des ressources humaines dans la conception et la conduite de leurs plans sociaux pour y mettre les vraies mesures favorables à l’emploi (pas forcément les plus rémunératrices à court terme pour les salariés). J’ai aussi animé des stages de formation de la maîtrise à conduire des entretiens de séparation le plus humainement possible en évitant de commettre des erreurs qui pourraient nuire à la santé psychologique des salariés. Lors des réunions des comités d’entreprise, je venais présenter nos résultats de reclassements aux élus. Ils ne me ménageaient pas non plus bien au contraire car je représentais la Direction. Parfois après les réunions, je pleurais mais je continuais mon travail pour que tout se termine bien. J’ai terminé ainsi ma carrière en gagnant très bien ma vie mais c’était mérité je le devais qu’à mon travail, à ma volonté, à mon engagement. Cela n’a pas été facile, je n’ai pas été très présente pour mes enfants, je crois que je n’ai pas vu que mon fils en avait particulièrement souffert car tous les efforts que je faisais c’était pour eux pour qu’ils puissent faire des longues études pour avoir le métier qui leur plaisait et comprendre qu’on n’a rien sans travail et qu’il ne faut rien attendre des autres. En cela j’ai réussi : Ma fille est gastro-entérologue et mon fils ingénieur mais je pense qu’ils se sont sentis délaissés mal aimés. Pour réussir, je ne me suis pas ménagée et je ne les ai donc pas ménagés non plus.
Pour conclure J’aimerais voir aussi dans cette expression ou citation : une incitation individuelle et collective à sauvegarder notre monture «la Terre » afin qu’elle continue à « voyager loin » c’est-à-dire à assurer la préservation à long terme de la vie de toutes les espèces humaines, animales, végétales gravement menacées par les pollutions humaines ». Si tous les hommes et femme de la terre pouvaient se donner la main pour ménager notre planète et la sauver, nous sauver et sauver les générations à venir La encore il ne faut pas tout attendre de ceux qui gouvernent le pays mais c’est à chacun de faire un effort pour diminuer son empreinte écologique.
Martine Martin / Janvier 2019 pour Nid de mots d’ABC