Jasmine
Publié le 11 Mars 2020
Je m’appelle Kléber. Ce prénom m’a été donné par mon père passionné par l’Empire en souvenir du général qui combattit courageusement pendant la campagne d’Egypte. Je l’ai échappé belle, il aurait pu m’appeler Bonaparte. Ce nom aurait été beaucoup plus difficile à porter pour quelqu’un qu’Austerlitz ne fait pas vibrer et qui a tout fait tout pour éviter de remplir son obligation nationale. J’ai quitté les Pyrénées (mes pyramides à moi) pour vivre dans une jolie cité au bord du Danube quelque part au nord de l’Europe.
En ce début de matinée, je m’y promène sur le chemin vert, un sentier de randonnée qui débute dans la plaine au hameau du bel air au milieu des champs maraîchers, se poursuit jusqu’au port de plaisance sur le fleuve et monte ensuite jusqu’à la chapelle du château rouge .
Tu apparais soudain sur mon chemin Ta peau si blanche fait ressortir tes grands yeux noirs. Tu me souris en humant une fleur de jasmin que tu viens de cueillir. Cette image de gaieté et de liberté ressortira toujours du monceau de souvenirs flous qui s’estompera au fil du temps. Je me plais à penser que tu t'appelles Jasmine. Je m’approche de toi, tu me tends ta fleur en restant muette. Je m’imprègne de son parfum délicat puis je range ce précieux cadeau religieusement dans ma bourse en cuir. Je prends ta main dans la mienne et nous continuons à marcher.
Face au château d'eau, à la fourche des chemins, je coupe une ou deux de ses frondes de fougères luisantes pour en faire des couronnes. J'en pose une délicatement sur tes cheveux d'ébène. Je te donne l'autre dont tu me coiffes. Tu ressembles ainsi Jasmine à une reine grecque ou de la Rome antique qui pourrait être l’héroïne d’un opéra du châtelet. Je suis ton chevalier décoré de la légion d'honneur de la cité dont j'arbore fièrement l'insigne à ma boutonnière. Ne me demandez pas comment je l'ai obtenue. On décore n'importe qui avec n'importe quoi.
Nous nous arrêtons devant une petite maison blanche curieusement appelée « les boulets de Liège ». Tu es arrivée Jasmine. Nous avons du mal à nous séparer. Je ne suis pas encore un boulet pour toi et j’espère que je ne le serai jamais (même de liège).
Tu pousses une porte dorée, nous pénétrons dans un grand couloir. La défense d’éléphant, que fièrement tu me montres en me chuchotant à l’oreille que tu l’as obtenue au Venezuela pour quelques bolivars, semble tout à fait anachronique. Où peut-on trouver des éléphants au Venezuela ? Je ne connais que les éléphants de mer d’Argentine sans défense (à tous les sens du terme). Je n’ai pas le temps d’y réfléchir Tu m’invites à entrer avec toi dans ta petite république, ton temple, ta petite chambre peinte en bleu nuit avec une grande étoile lumineuse au-dessus du lit. J'ai froid , Il fait sombre, on se croirait soudain dans une glacière. Que tu es étrange Jasmine presque irréelle. Je te prends dans mes bras.
Au moment où Je m’apprête à t’embrasser je sursaute quand une voie tonitruante annonce « Mairie d’Issy, terminus. Tout le monde descend »
Je me réveille soudain à Paris dans le métro, Je m’étais endormi. Le mot de Cambronne m’échappe… mais bonne nouvelle : Jasmine tu es en face de moi mais sans couronne. Tu te lèves et tu te diriges vers la porte… Je crie en chantant Jasmine, Jasmine… Tu ne te retournes pas, tu sors de la rame… Cela ne doit pas être ton prénom. Jasmine. Peut être que tu t’appelles Madeleine. Je crie Madeleine, Madeleine ! mais comme chante Jacques Brel « Tu n'viendras pas » même si je t’apporte du jasmin à la station Jasmin ou à la porte des lilas.
Martine / Pour les prénoms du mercredi animé par Jill Bill (Aujourd'hui Jasmine).
Les mots en bleu dans le texte sont ceux de stations de métro parisiennes