La montagne ça se gagne
Publié le 10 Février 2020
Notre amie ABC a décidé de quitter son nid et la goélette des croqueurs de mots pour aller randonner en Montagne avec le Capitaine Domi et tout l’équipage de la goélette dont je fais partie. Elle nous promet une surprise un message crypté nous sera envoyé du haut du plateau.
Je suis bretonne de Naissance et Vendéenne de cœur, la montagne ne m’a jamais gagnée. Je me sens enfermée, oppressée dans les vallées. J’adore les cimes mais il faut monter et surtout après en redescendre et le vertige me gagne alors.
Nous sommes en mai. Nous nous retrouvons sur le parking d’où part un des sentiers de randonnée du mont Canigou. ABC nous rassure nous ne monterons pas jusqu’au sommet, ascension réservée aux montagnards entraînés. L’objectif est de marcher ensemble, à notre rythme, jusqu’au pied du pic tout en admirant la beauté du paysage. Pourquoi avoir choisi le Mont Canigou cette montagne au nom de pâtée pour chien, je ne lui ai même pas demandé. Cela ne nous a pas porté chance il fait un temps de chien et je n’aime pas les chiens.
Certaines de mes amies qui pensaient monter jusqu’au pic avaient emmené avec elle un drapeau pour le planter au sommet : qui le breton, qui le corse, qui la France insoumise. J’avais moi-même emmené celui de la Vendée au double cœur rouge sur fond blanc surmonté d’une croix qui ressemble un peu au logo (le Phi) du parti de Jean-Luc Melenchon. C’est amusant le drapeau des royalistes catholiques chouans ressemblant à celui d’un parti d’extrême gauche. Dommage que la république en marche n’ait pas vraiment de drapeau, je l’aurais emmené, il aurait été de circonstance pour accompagner les marcheurs.
J’avais aussi emmené dans mon sac à dos une bouteille de vin, pas un fief Vendéen peu connu mais qui mérite de l’être, mais un excellent vin de bourgogne, du Montrachet.
Nous débutons l’ascension avec à la tête de notre groupe ABC, notre capitaine Domi et Jeanne FADOSI. Avec tous nos drapeaux, nous ne passons pas inaperçus, on ressemble à des manifestants déambulant joyeusement.
Je suis sportive, j’ai l’habitude de marcher, de courir mais le matin de bonne heure à la fraîche et sur du terrain plat ou presque au bord de l’océan. Ici cela monte sec, il fait frais et humide mais j’ai chaud. Je me suis trop couverte. Heureusement je n’ai pas que du vin dans mon sac à dos mais aussi une grande bouteille d’eau que je consomme sans modération. Je ne regarde que mes pieds et surtout pas le sommet pour ne pas voir la dénivellation et le chemin qui reste à faire. Mes amies des croqueurs, pour la plupart très heureuses de faire connaissance après plusieurs années de relations virtuelles, n’arrêtent pas de papoter sur la beauté du paysage, les élections municipales, le corona virus et tous les malheurs du monde.
Les randonnées en groupe ce n’est pas pour moi. Je préfère partir seule, cela me permet de penser, méditer et c’est en marchant que toutes mes idées d’écriture viennent. J’essaye de faire un effort pour observer le cadre qui m’entoure, m’en imprégner, écouter le chant des oiseaux, les cris des insectes mais je n’y arrive pas tant il y a du bruit. Au risque de passer pour une enquiquineuse, je demande à mes compagnes de marche au minimum de baisser le ton, voire de se taire. Elles continuent de plus belle. Je peste intérieurement. Soudain j’aperçois un chamois au loin sur un rocher. Personne ne semble l’avoir vu, on ne peut pas parler et observer en même temps. Je ne garde pas cette belle découverte pour moi et je leur signale la présence de l’animal. Enfin les bavardages s’arrêtent et tout le monde admire, sort son appareil photo ou son téléphone portable pour conserver le souvenir de cette rencontre. François Cardabouche sort son carnet et se met à dessiner. Je ne connais pas la faune montagnarde et je me suis trompée. On me fait remarquer que ce n’est pas un chamois, mais un bouquetin. Il y en a toujours qui aiment ramener leur science. J’en ai assez, je commence à être fatiguée. Je propose de faire une halte mais ABC me dit que si l’on veut revenir avant la nuit on ne peut pas s’arrêter tout le temps. Je fais remarquer qu’on n’a pas encore fait de pause.
Nous continuons à monter. Soudain une petite pluie fine se met à tomber. Chacun sort son vêtement de pluie. Après avoir enfilé ma cape imperméable, je me mets à chanter en parodiant « je suis le plombier » de Pierre Perret :
Je n’veux pas marcher, ché ché ché
J’ai très mal aux pieds
J’vis un martyr dans le canigou, gou gou gou gou
Il fait un temps d’chien
Entendez-vous le tonnerre ?
J’veux rentrer chez ma mère
C’est encore loin la mer
Ma chansonnette a l’air de plaire et beaucoup de mes camarades d’infortune la reprennent en chœur !
Cela m’aide à monter. Il n’y a rien de plus dynamisant que de râler en chantant. Seulement, Je chante faux et la pluie devient plus intense.
Je sens que j’ai fâché nos trois capitaines qui me lancent des regards courroucés. Je change de chanson et me mets à chanter en parodiant Hugues Auffray
Tiens bon le cap et tiens bon le coup
Monte plus haut, Monte dans la boue
Sous la pluie qui nous mouille le cou
Nous irons tout en haut du Canigou
Domi en tant que Capitaine des croqueurs se sent obligée d’intervenir et me lance un « MM (c’est mon surnom) arrête, il pleut déjà suffisamment »
On se rapproche de notre but, le pied du pic que l’on aperçoit, mais il reste encore de la route à faire. Mon smartphone se met à sonner, je viens de recevoir un MMS, je le consulte et clique sur l’image envoyée. Un message crypté s’affiche sur mon écran.
Je mets plusieurs minutes à le déchiffrer.
C’est un message d’encouragement mais son côté critique ne me plait pas.
J’en ai assez de cette randonnée. Je retire mon sac à dos, je l’ouvre, je sors la bouteille de vin et en verse dans la timbale que j’avais emmenée et sous le regard médusé de mes compagnes de randonnée je le bois sans le partager et m’exclame « Plutôt que de monter le Mont Canigou, je descends le Montrachet et j’aurais descendu le Montbazillac si j’en avais amené ». Continuez à monter sans moi, je descends seule.
Je plante mon drapeau vendéen. Je fais demi-tour et commence la descente en chantant l’hymne de la Vendée d'Alban Lepsy
« La montagne nous offre le décor, à nous d’inventer l’histoire qui va avec. Nicolas Helmbacher».
Martine Martin / Février 2020 pour le défi 231 des croqueurs de mots animé par ABC