À la saint Calixte
Publié le 24 Mars 2021
Alors qu'il avance d'un pas décidé dans le couloir de la station Les Sablons à Neuilly, Calixte entend le métro approcher. Pressé, il a un rendez-vous important et n’est pas en avance. Il accélère sa marche. Quand il arrive sur le quai, la sonnerie stridente de fermeture des portes retentit. Il se met à courir, mais les portes se referment devant lui. Il devra attendre la prochaine rame. C’est stupide, S’il avait couru dans le couloir comme l’envie lui est venue, il n’aurait pas maintenant à patienter désœuvré sur ce quai bondé. Un rendez-vous capital dont il se souviendra toute sa vie l’attend. Il l’a tant espéré comptant les jours qui l’en séparaient. Une pensée soudaine l’envahit. Y Tient-il vraiment ? Depuis ce matin, on dirait que tous les obstacles se mettent sur son chemin pour l’empêcher de l’honorer. Si c’était lui qui, inconsciemment, dans sa tête, freinait, avançait à reculons vers son avenir. Une annonce RATP le sort de ses réflexions : « Le Trafic est interrompu sur la ligne 1 en raison d’un incident technique ». Non ce n’est pas lui qui freine pense-t-il, peut être son ange-gardien qui fait tout pour réduire à néant son envie de changement, de dévier la route que, depuis sa naissance, le destin lui a tracée.
Sur le quai, il est surpris par le regard d’une jeune femme aux cheveux très courts aux traits du visage si fins qui contrastent avec son allure masculine et son corps très musclé. Ému, il la regarde et lui sourit. Son visage gracieux s’éclaire soudain d’un soupçon d’amusement comme si elle éclatait de rire au plus profond d’elle-même tout en essayant de le masquer.
Pour résister au trouble qui l’envahit dans cette confrontation silencieuse, il prononce les premiers mots qui lui viennent spontanément :
- « Je m’appelle Calixte et toi ? ».
Il s’en veut aussitôt. C’est stupide comme début d’une histoire, mais que pouvait-il lui dire ? Elle n’a pas l’air de lui en vouloir au contraire et l’ironie de son premier sourire fait place à une grande douceur :
- Bonne fête Calixte. "À la saint Calixte, il n’y a plus de fleurs à calice, mais je suis encore là, je m’appelle Anémone et je suis jardinière. Quel est ton métier ?
- Un artiste qui a perdu le sens des réalités à force de rêver. Je suis coiffeur.
- Coiffeur, est-ce pour cela que tu as un cheveu sur la langue ?
Calixte rougit, Anémone a remarqué son léger bégaiement qui s’accentue quand il est ému :
- Tu as de l’humour, oui, je zozote un peu parfois quand je suis stressé. Tu es jardinière, tu crées des paysages.
- Non, j’aimerais bien imaginer et réaliser un nombre infini de jardins, j’ai appris et cela m’enthousiasmerait, mais, pour le moment, je suis élagueuse pour la ville de Paris. Je n’ai rien trouvé d’autre dans mon domaine de compétences. Sportive, j’aime me dépenser physiquement et aussi parler aux arbres quand je leur fais une beauté ou quand, hélas, je suis obligée de les abattre.
- Enchantée de te connaître Anémone l’élagueuse. Ce n’est pas trop difficile comme métier pour une femme ?
- Non, en fin de compte, nous faisons le même métier : je taille les arbres comme tu tailles les cheveux. Et toi, ce n’est pas trop difficile pour un homme de côtoyer toutes ces femmes que tu coiffes et de recevoir leurs confidences ?
Calixte rougit encore plus de la stupidité machiste de sa question, mais cette jolie jeune femme à la force douce et si vive d’esprit lui fait perdre tous ses moyens. Étant attiré par les hommes, c’est la première fois que cela lui arrive de ressentir un tel attrait pour une femme et cela le trouble d’autant plus.
La voix d’une hôtesse RATP interrompt, quelques instants, leur dialogue « le trafic est interrompu sur la ligne 1 entre Charles de Gaulle étoile et la Défense pour une durée d’au moins une heure. Merci de sortir du métro pour prendre le bus 73 afin de rejoindre Étoile ou La Défense »
Anémone semble contrariée un moment puis sourit en se tournant vers Calixte :
- Au revoir Calixte ! J’avais envie, en ce samedi ensoleillé, de faire du shopping sur les Champs Élysées. J’y renonce et rentre chez moi. Merci la RATP, je vais faire des économies aujourd’hui.
- Je vais regagner mon domicile également. Mon rendez-vous n’a plus d’importance, je n’avais pas vraiment envie d’y aller. Mais avant puis-je t’offrir un verre au Sequoia café ? Nous pourrions mieux nous connaître.
- D'accord Calixte, mais s’il te plaît ne me drague pas, je déteste cela.
- Tu me fais rire Anémone, tu ne risques rien, je suis gay.
- Merci pour ta confidence Calixte, Bienvenue au club, je suis lesbienne !
Ils continuèrent leur conversation en se dirigeant vers la sortie du métro :
- Tu avais rendez-vous avec ton compagnon Calixte !
- Non pas du tout, je n’en ai pas en ce moment. Je suis dans une période de remise en question.
- Excuse ma curiosité. Est-ce que ce rendez-vous avait un rapport avec ton état actuel ?
- Oui. J’ai l’impression d’être sur une balançoire qui ne s’arrête plus et qui oscille entre « je vais le faire » et « non je ne peux pas »
- Tu allais chez un psy.
- Non mais tu brûles.
- Chez un médecin ?
- Oui.
- Ton généraliste ?
- Non, un spécialiste à l’hôpital Saint-Louis qui ne soigne pas, mais change ton image.
- Un chirurgien esthétique ?
- En quelque sorte !
- Je ne devine pas dis-moi.
- Normal, c’est impossible à trouver, et même si tu le trouvais oserais-tu me l’avouer ?
- Allez parle Calixte !
- Si je te le dis, tu ne viendras plus jamais boire un verre avec moi.
- Mais si je te le promets.
- J’allais voir un chirurgien qui allait me transformer en femme ? Je suis coiffeur pour transsexuels. À force de les côtoyer j’avais envie de changer de sexe. Finalement, je crois ne plus le souhaiter réellement. Je me réjouis que cette panne m’ait empêché d’y aller. Je crois aux signes du destin. En plus, c’est la saint Calixte, un jour sans calice, mais il me reste une fleur à calice, toi Anémone. Néanmoins, si tu reviens sur ta promesse et que tu prends tes jambes à ton cou, je comprendrais, les gens bien ne peuvent admettre une telle métamorphose.
- Sauve qui peut ! Non, je plaisante. Te rencontrer Calixte m’a comblée de joie et je me réjouis de cette panne dans le métro qui m’a permis de faire ta connaissance. Je crois qu’une belle amitié est née.
Sur ce, Anémone lui fait un petit baiser furtif sur la joue, le prend par le bras et ils sortent ensemble sur l’avenue Charles de Gaulle. Elle le regarde en souriant et lui chuchote :
- Tu sais Calixte Je n’aime pas les gens biens et comme écrit Emile ZOLA dont j’ai lu tous les livres et que j’adore « quels gredins les honnêtes gens »
Martine Martin / Mars 2021 Pour les prénoms du mercredi de Jill Bill, aujourd’hui Calixte