Souvenirs d'enfance

Publié le 8 Février 2021

Papa, Maman, Mamie, et moi
Papa, Maman, Mamie, et moi

Papa, Maman, Mamie, et moi

Encore dans le ventre de sa mère, elle fait déjà de la résistance. Trop confortablement nichée dans son cocon douillet, son souhait le plus cher est d’y rester. Hélas, la sage-femme la sort de force avec une grande pince qui la marque au visage et la blesse à jamais au plus profond de son être. Tous les autres bébés en naissant crient, pas elle. On la secoue dans tous les sens, un cri perçant, regretté aussitôt, lui échappe. C’est à ce moment précis qu’elle entre en résilience.

Elle est un bébé sage qui pleure peu. Curieuse, ses grands yeux noirs observent ceux qui l’entourent. Elle apprend vite à Marcher et apprécie ce début d’autonomie. « Non » est son premier mot prononcé, prononce, elle en abuse. Ses parents s’amusent à la supplier de formuler un « oui ». Sa réponse est toujours un « non » catégorique. Ils éclatent de rire. Elle a l’impression d’être un animal de cirque qu’on essaye de dresser. Sa grand-mère qui l’élève et qui la connaît bien lui dit « allez fais plaisir à mamie, dis-moi non ». Elle profère enfin un « oui ». Adorant sa mamie, elle ne peut s’empêcher de lui sourire, mais pour la première fois, on l’a piégée. Elle comprend alors inconsciemment qu’on peut obtenir beaucoup de choses par l’intelligence et la ruse. À cinq ans, elle sait lire, mais sa grand-mère continue à lui raconter des histoires en la hissant sur ses genoux ce qui la comble de bonheur. C’est la seule personne qui peut lui prodiguer des câlins et bisous. Sa maman ne le fait par manque d’envie probablement. Elle préfère croire que c’est par crainte d’être rejetée et c’est vrai que ses bisous ne seraient pas acceptés. Sa grand-mère l’excuse toujours et répète à tous que sa petite fille est gentille avec ceux qui la connaissent et savent l’aborder.

 

Ses débuts à l’école sont difficiles, contrairement aux autres enfants, elle sait lire, les autres enfants la regardent comme un singe savant, un extra-terrestre.

Alors, elle se tait, reste seule au pied d’un arbre de la cour de récréation à les observer jouer, crier, rire. Curieusement, au lieu de les envier, elle les plaint d’être aussi insouciants. Discrète en classe, ne s’exprimant jamais sans y avoir été invitée, elle écoute avec beaucoup d’attention tout ce que l’institutrice leur apprend  et mémorise. Sa maîtresse ne la punit jamais et lui remet souvent des croix blanches et bleues aux jolis rubans dont elle est fière, mais qu’elle garde dans la poche de son tablier ce qui lui permet de les sentir, les caresser discrètement sans les exhiber. Ses distinctions et honneurs qu’elle ne pense pas mériter la gênent. À 7 ans, ses parents la reprennent chez eux. Elle fait connaissance avec sa petite sœur un gros bébé joufflu qui pleure souvent mais qu’elle aime et se promet de protéger toute sa vie. Elle va à l’école publique où, venant d’un établissement privé (crime de lèse-majesté à cette époque), on ne l’accepte pas. Aucune brimade ne lui sera épargnée : tours de cour, punitions en tous genres. N’acceptant pas cette injustice, la petite fille discrète devient très dissipée et rebelle. Un jour une de ses camarades la gifle en classe, elle lui en administre une en retour. L’institutrice donne à elle seule une punition, alors qu’elle avait vu sa camarade la gifler en premier. Elle est condamnée à conjuguer à tous les temps la phrase « je ne dois pas taper mes camarades ». Elle exécute la punition, mais en transformant la phrase en « je dois rendre quand on me tape » que son père signe en se réjouissant d’avoir une fille qui ne se laisse pas faire. Ceci lui vaudra d’être renvoyée de l’école ce qui curieusement la réjouit, car elle ne supportait pas d’être harcelée tout simplement parce que ses parents avaient osé préférer l’école des curés à celle de la République dite Laïque. Elle réintègre l’école privée où on la tolère plus qu’on ne l’accepte. Chez les curés, on n’aime pas les fortes têtes, surtout quand leurs parents n’ont pas les moyens de payer la scolarité. Si son père n’avait pas été un ancien combattant mutilé de guerre, engagé volontaire dans la guerre d’Indochine pour aller combattre le communisme, on ne l’aurait pas acceptée. Révoltée par les représentants de Dieu, qui agissent en contradiction avec la charité chrétienne qu’ils prônent pourtant en permanence, elle cesse de croire en Dieu, mais y a-t-elle réellement cru un jour. Elle ne sent aucune affinité avec ses camarades, pour la plupart des filles de bourgeois qu’elle trouve superficielles, mais qui ne l’ennuient aucunement. En effet, son attitude leur a vite fait comprendre qu’elles n’auraient aucune prise sur elle. Elle retombe en résilience et ne répond pas aux injustices et humiliations en tous genres que certains professeurs lui font subir en classe. Un jour, on lui reproche devant ses camarades de mentir. Puisque ses parents, ne payent pas sa scolarité, il est impossible qu’ils aient pu lui offrir un microscope à Noël comme elle l’écrit dans sa rédaction. Ce qu'ils ne savent pas, c'est que son père a un salaire suffisant, mais aussitôt reçu, il le dilapide. Elle refuse d’emmener ce microscope à l’école pour prouver qu’elle dit la vérité, comme on le lui demande. Non seulement, ce serait humiliant, mais surtout elle sait que son père devrait ensuite payer sa scolarité. Quand un vol est commis dans l’école, on l’accuse. Les enfants des riches ne peuvent pas voler. Elle ne répond rien et reste stoïque devant l’injustice et les humiliations. Ils veulent la pousser à bout, la forcer à réagir, elle ne leur donnera pas ce plaisir.

Elle quitte avec bonheur l’école privée pour le collège d’enseignement technique pour préparer un BEP de secrétariat. S’entendant bien avec la prof de français, elles discutent ensemble souvent après la classe. Une fille de son âge, se sentant aussi perdue et étrangère à ce monde qu’elle, devient son amie. Elles unissent leur solitude.

La prise de son premier poste de secrétaire d’un directeur du personnel et son mariage peu de temps après, mettent fin à son enfance.

Martine Martin / Février 2021 pour le défi 245 des croqueurs de mots animé par Fanfan (Thème souvenir d'enfance)

Rédigé par Martine.

Publié dans #Vécu

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Très beau texte extrêmement bien écrit.<br /> On te suit de ce petit bébé sortant malheureusement difficilement (ma deuxième fille a, tristesse, connu cette vilaine pince dont tu parles :( ) à cette enfant ayant du caractère et se rebellant (tu m'as bien fait rire avec ton texte à copier légèrement ... transformé !).<br /> Les différences faites entre les enfants, non seulement entre eux, mais également par les adultes, et ça c'est pire que tout ! Comment ne pas se rebeller.<br /> J'ai pris un grand plaisir à lire ton texte.<br /> Bonne nuit.<br /> cricket
Répondre
E
Bonjour Martine. . Des souvenirs bien racontés. Je me souviens de l'histoire du microscope dont tu nous as déjà parlé. J'ai eu du mal à me faire accepter jusqu'à la seconde car j'étais plus jeune que les autres. Bonne journée et bisous
Répondre
D
Je pense que nous sommes beaucoup à faire partie de cette génération où brimades et humiliations faisaient partie de notre quotidien, mais j'ai le sentiment que cela nous a aider à grandir et faire de nous des personnes de caractère.
Répondre
J
une enfance pleine de blessures et d'humiliation, pleine de tendresse aussi du moins au début, ce qui t'a permis de tenir et de grandir. bises
Répondre
P
Une enfance scindée par plusieurs déménagements scolaires. Peu t'ont plu. Cela ne ta pas empêchée de progresser bellement et sereinement.<br /> Bises Martine
Répondre
A
Pour savoir lire à cinq ans, il faut avoir été aimée et sollicitée. Elle n’a pas été aussi rejetée qu’elle le croit. Amitiés
Répondre
J
Des souvenirs qui sont dignes d'être mis dans un de tes romans Martine... je suis scotchée à l'écran et j'attends la suite !<br /> je t'embrasse
Répondre
A
Certains moments de ton histoire ( la scolarité entre autre) fait écho à ce que j'ai vécu dans mon enfance et qui malgré les années passées restent imprimées dans ma mémoire
Répondre
A
Certains moments de ton histoire ( la scolarité entre autre) fait écho à ce que j'ai vécu dans mon enfance et qui malgré les années passées restent imprimées dans ma mémoire
Répondre
L
Bonjour Martine <br /> Un beau roman, je crains pour la jeune femme qu'elle est devenue <br /> Bonne journée <br /> Bisous <br /> Méline
Répondre
C
De touchants souvenirs d'enfance, Martine ! Magnifiquement bien relaté, ton texte ! J'♥ ces photos !<br /> Bises♥
Répondre
A
Kikou Martine,<br /> <br /> Difficile enfance.<br /> Bien narrée et chargé d'émotion pour moi.<br /> <br /> Ce fut dans une autre vie, comme je le dis souvent !<br /> Bisous et bonne soirée<br /> Aimée
Répondre
R
Une enfance difficile que tu nous révèle aujourd'hui.......Bisous douce semaine
Répondre
Z
Une enfance difficile dans les premières étapes de sa scolarité. Pourquoi avoir parlé de toi à la 3ème personne, comme si tu ne te reconnait pas dans cette description et ces souvenirs ???? Bises martine
Répondre
M
Tout simplement parce que ce n'est pas de moi que je parle de celle que je suis aujourd'hui c'était dans une autre vie, je suis très différente maintenant.
M
Voilà des souvenirs très émouvants. Quelle force d'âme il a fallu pour supporter tout ça!<br /> Bonne journée à toi et bises,<br /> Mo
Répondre
Z
C'est ce que j'avais cru comprendre ! Bonne soirée
G
Enfin j'ai le plaisir de" venir te rendre visite, tes textes sont très agréables à lire, j'aime bien ton style, le mien est certes plus simple et sans doute plus laborieux que le tien : bravo ! Ce lundi le ciel est nuageux à Toulouse, c’est un mois de février qui ne m’est pas favorable avec des coupures intermittentes de mon internet, cela me fatigue. Mais mon livre autobiographique consacré à ma jeunesse a bien progressé ! Passe une bonne semaine. Cordiales amitiés & à +
Répondre
L
Coucou Martine, après la lecture de ce nouveau récit sur ton enfance, superbe et poignant, on comprend encore mieux ta forte personnalité. Et bravo d'être maintenant une écrivaine confirmée ! Au-dessus de ces épisodes souvent douloureux, je retiens la malice bienveillante de ta grand-mère pour te faire enfin dire oui et la signature approbatrice de ton père au bas de ton injuste punition. Gros zibous !
Répondre
L
Coucou Martine, après la lecture de ce nouveau récit sur ton enfance, superbe et poignant, on comprend encore mieux ta forte personnalité. Et bravo d'être maintenant une écrivaine confirmée ! Au-dessus de ces épisodes souvent douloureux, je retiens la malice bienveillante de ta grand-mère pour te faire enfin dire oui et la signature approbatrice de ton père au bas de ton injuste punition. Gros zibous !
Répondre
L
Coucou Martine, après la lecture de ce nouveau récit sur ton enfance, superbe et poignant, on comprend encore mieux ta forte personnalité. Et bravo d'être maintenant une écrivaine confirmée ! Au-dessus de ces épisodes souvent douloureux, je retiens la malice bienveillante de ta grand-mère pour te faire enfin dire oui et la signature approbatrice de ton père au bas de ton injuste punition. Gros zibous !
Répondre
L
C'est incroyable comme nos enfances se ressemblent, Martine... Presqu'à chaque mot, je peux me reconnaître ! Moi aussi élevée par ma grand mère jusqu'à mes 3 ans, à l'arrivée de ma petite soeur... Une cassure, une fêlure à jamais inscrite en mon patrimoine génétique ! Je n'avais pas les moyens de me défendre, parents trop répressifs ! Mal vêtue, timide à l'excès, je dénotais, et me retrouvais souvent seule à la récré, afin de me protéger... tout comme toi.... J'ai heureusement vite appris à lire et les livres ont été ma seule consolation.... bien qu'il me fallait les cacher dans mon sac (sac au cuir usé, qui me venait de mon père)... et lire la nuit à l'aide d'une lampe de poche piquée aux parents.... Bref, toute mon enfance pourrait se caler sur la tienne, sauf que mon père donnait sa paie à ma mère, qui gérait le budget familial, et ne demandait que l'argent de poche pour son tabac... Moi aussi, forte rébellion intérieure ....que j'ai gardé ! Bisous
Répondre
L
C'est incroyable comme nos enfances se ressemblent, Martine... Presqu'à chaque mot, je peux me reconnaître ! Moi aussi élevée par ma grand mère jusqu'à mes 3 ans, à l'arrivée de ma petite soeur... Une cassure, une fêlure à jamais inscrite en mon patrimoine génétique ! Je n'avais pas les moyens de me défendre, parents trop répressifs ! Mal vêtue, timide à l'excès, je dénotais, et me retrouvais souvent seule à la récré, afin de me protéger... tout comme toi.... J'ai heureusement vite appris à lire et les livres ont été ma seule consolation.... bien qu'il me fallait les cacher dans mon sac (sac au cuir usé, qui me venait de mon père)... et lire la nuit à l'aide d'une lampe de poche piquée aux parents.... Bref, toute mon enfance pourrait se caler sur la tienne, sauf que mon père donnait sa paie à ma mère, qui gérait le budget familial, et ne demandait que l'argent de poche pour son tabac... Moi aussi, forte rébellion intérieure ....que j'ai gardé ! Bisous
Répondre
A
La dure réalité de la vie dès le début, dommage l'enfance peut-être si douce... Heureusement qu'il y a eu mamie !
Répondre
F
Une enfance pas toujours douce à l'école. Autrefois ,il y avait la concurrence entre le public et le privé. Ils t'en ont fait voir de toutes les couleurs,mais cela forge le caractère. <br /> Les enseignants de l'époque n'étaient pas très psychologues hélas. <br /> Tu es toute mignonne sur la photo. Bonne semaine
Répondre
M
Et bien ce n'est pas très gai tout ça et j'imagine largement autobiographique. Moi aussi je savais lire à 5 ans mais je ne me suis jamais sentie différente des autres pour autant au contraire mes camarades de classe recherchaient mon aide. Il faut dire aussi que les ambiances de l'époque comme tu le dis d'ailleurs dépendaient beaucoup des maitresses et des écoles et je n'imagine pas ce que c'était d'être dans une école privée vu que je n'y ai jamais mis les pieds. Nos enfances n'ont pas été toujours roses car à notre époque l'éducation était différente tout simplement de celle d'aujourd'hui...bisous et une belle journée
Répondre
D
Les souvenirs sont comme la vie bons et moins bons. Tu as rencontré quelqu'un qui t'a apportée la confiance et l'amour. Comme toi mes souvenirs sont sucre et citrons. La vie était bien compliquée pour nos mères. Bises
Répondre
J
Excellent texte Martine , une volonté de rebondir face à l'adversité qui ne m'étonne pas . Tu nous l'as montrée déjà à de nombreuses reprises . Merci beaucoup d'avoir partagé tes souvenirs d'enfance même si certains sont vraiment difficiles .<br /> Bonne journée <br /> Bises
Répondre
L
que se souvenir est triste, mais j'espère qu'une belle vie attend cet enfant, qui en a subi des brimades , humiliations, injustice, mais malheureusement encore aujourd'hui de telles choses arrivent, bravo Martine d'avoir parler de ce souvenir.<br /> bises amicales
Répondre
E
euh ...pas très heureux ce début dans la vie....mais depuis tu t'es rattrapé me semble-t-il !<br /> bises
Répondre
M
Bonjour Martine, un texte superbe, des mots bien choisis pour nous éclairer sur cette petite fille, je pense qu'elle doit te ressembler non? Bisous bon lundi MTH
Répondre
R
Elle n'a aps été facile ton enfance... tu as su rebondir...<br /> .. j'aime bien la photo... Belle journée Martine gros bisous
Répondre
R
Elle n'a aps été facile ton enfance... tu as su rebondir...<br /> .. j'aime bien la photo... Belle journée Martine gros bisous
Répondre
A
J'ai beaucoup aimé tes souvenirs d'enfance, j'y ai trouvé tant de points communs avec la mienne, fille de militaire, ballotée d'une institution à l'autre, n'arrivant jamais à m'intégrer, élevée en partie par ma grand-mère que j'adorais, nous n'avons pas eu des jeunesses faciles aussi quand je vois tous ces jeunes qui sont dépressifs car on leur vole leur jeunesse et même si je ne veux pas passer pour une vieille aigrie, je me dis qu'ils sont loin d'avoir vécu nos combats pour nous en sortir malgré tout. Bises et bonne journée
Répondre
D
Une enfance difficile, heureusement un caractère très fort qui la sauve!<br /> Bonne journée, bises
Répondre
C
Ces souvenirs d'école ne semblent pas agréables... Comme d'habitude, tu écris très bien! Bises et belle semaine!
Répondre