BRIBES D'ENFANCE
Publié le 29 Mars 2021
Pour le défi des croqueurs de mots N° 248, Durgalola nous demande d'écrire un texte avec les dix mots que j'ai écrits en gras dans mon récit ci-dessous.
En toute honnêteté, j'avoue qu'écrire avec des mots imposés freine ma créativité. Je déteste, alors j'ai repris un texte que j'avais écrit en 2010 que j'avais envie de partager avec vous et j'y ai rajouté les mots imposés par mon amie Andrée
Je suis née en février 1953 à Paris dans un foyer d’employés d’un grand magasin de la rive gauche « Le bon marché » supposé faire « le bonheur des dames ». Pour mon père, j’étais un miracle, la lumière au bout du tunnel. La vie avait eu le dessus. Il chérit immédiatement sa petite fille très brune aux grands yeux noirs qui hurla dès qu’elle fut libérée du cocon maternel. Ce cri effaçait le silence insoutenable de la naissance de leur premier enfant mort-né et tarissait les larmes de douleur.
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Avec Papa
Pour ma mère, ce premier cri prouvait que son bébé était bien vivant mais quand elle apprit qu'elle avait donné naissance à une fille, elle me rejeta. Elle voulait un garçon pour faire le deuil de son petit Bernard silencieux et immobile à jamais. Elle décida de me confier quelque temps à ma grand-mère. Mon père souffrit de cette décision, mais se tût. Dans sa famille, les femmes dirigent depuis plusieurs générations, les hommes pacifistes se taisent pour éviter les conflits : penser, intérioriser, surtout ne rien dire, laisser faire…
J’ai ainsi consacré une grande partie des premières années de ma vie chez Jeanne ma grand-mère paternelle qui me couvrit d’affection et de tendresse. Elle n’avait eu qu’un fils mon père et je la comblais de bonheur.
Jeanne, à 53 ans, s’ennuyait à Paris dans sa loge de concierge avec mon grand-père très effacé, silencieux et triste. Sa Bretagne natale lui manquait. En cirant à genoux les marches des six étages de l’escalier de l’immeuble, elle rêvait des côtes de granite que les vagues déchaînées viennent frotter
Mamie était née en 1900 à Quimper. Aînée d’une famille de 6 enfants, elle s'occupat ensuite de ses frères et sœurs. Puis elle dût travailler jeune en tant que femme de chambre, puis gouvernante chez des notables. Particulièrement fière d’avoir travaillé pour le vice-amiral Exelmans petit-fils du Maréchal d’empire du même nom, elle me montra le certificat qu’il lui avait rédigé à son départ : « Intelligente et dévouée telle la jugeait Madame Exelmans et telle je la juge moi-même ».
Elle était tombée amoureuse de Jean mon grand-père, un beau facteur, s’était mariée et avait dû le suivre au fur et à mesure de ses mutations.
C’est au centre de la France, dans le département du Loir et Cher à Gièvres que mon père naquit en 1921. Ensuite, ils quittèrent cette campagne pour Paris et s’installèrent comme beaucoup de Bretons dans le quatorzième arrondissement à proximité de la Gare Montparnasse.
Mon père, malgré ses excellents résultats scolaires, leur donna beaucoup de soucis, car il était de santé fragile. Il attrapa la diphtérie ce qui l’obligea à renoncer à son désir d’être instituteur. Par idéal anti-communiste, il s’engagea dans la guerre d’Indochine. Trop sensible, il revint traumatisé par les atrocités de cette guerre qu’il me racontait d’une voix tremblante d’émotion.
Mon grand-père Jean portait de grosses lunettes d’écaille et gardait toujours sur sa tête un vieux béret noir de feutre râpé. Peu démonstratif, il n’embrassait pas, ne caressait pas, mais était d’une grande bonté. Il m’aimait à sa façon, en silence. Il m’emmenait parfois au Parc Montsouris. Assis à terre, Penché au-dessus du bassin, il faisait voguer un mini voilier sur l’eau en me chantant doucement « Maman les petits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes ».
Mamie m’emmenait souvent à la Samaritaine. Nous y allions en bus. J’aimais rester sur la plate-forme arrière. Les rues défilaient sous mon regard émerveillé. J’observais les passants pressés, les automobiles. La traversée de la Seine au Pont Neuf me plaisait particulièrement. Je dominais les bateaux-mouches et les péniches qui voguaient. Ce grand magasin imposant au toit en coupoles me fascinait. Nous prenions les escaliers mécaniques et nous arpentions les rayons aux vieux planchers de bois. Y parcourir ceux des vêtements pour enfants était source de joie. Ma grand-mère, avec les bons de la Semeuse, m’achetait robes, jupes, pulls, manteaux et parfois même des jouets.
Le soir, au sein de l’unique petite pièce, bien au chaud dans mon lit placé sous la cheminée, J’étais à l’écoute de ma grand-mère. Les contes d’Andersen et de Perrault qu’elle me lisait peuplaient mes rêves de princes charmants, de princesses et de châteaux.
Je garde de cette période un souvenir présent mais très estompé, mes parents me reprirent dans leur studio de la rue Saint-Sébastien du 11ème arrondissement. Pendant la journée, ils travaillaient et me confièrent à des voisines. Je me souviens toujours de l’une d’entre elles, Hélène, que j’aimais beaucoup. Elle était Israélienne avait un garçon plus grand que moi qui me chérissait comme une petite sœur. Tata Hélène, c’est ainsi que je l’appelais, me couvrit d’affection. Puis dès que j’ai eu l’âge d’aller à l’école, je revins chez ma grand-mère.
Je passais tous mes étés avec ma tante Germaine à La Rochelle et son amie de toujours que j'appelais Tatie Jo. Elles me gâtaient beaucoup. J’ai gardé de ces étés un souvenir encore aujourd'hui très présent et un attachementa fort à cette ville. Mon père et ma grand-mère m'y rejoignaient parfois. Nous allions à la plage tous les après-midi.
À quatre ans, je rentrais à l’école privée Sainte-Elizabeth dans le 14ème arrondissement. Je me souviens encore de la cour carrée avec le vaste préau à l’ancienne. J’étais une petite fille timide, polie et calme. J'obtenais souvent la croix de mérite que j’arborais avec fierté avec son joli ruban sur mon tablier d’écolière. Une fois même, j’eus la croix d’honneur. Pour me récompenser ma grand-mère m’offrit une maginifique poupée Bella à qui j'attribuais le prénom de Laurence.
Mamie m’avait enseigné la lecture et l’écriture et, à cinq ans, je savais déjà lire. À six ans, je rentrais directement au cours élémentaire en sautant le cours préparatoire. Mon père me rendait visite le weekend. Je l'attendais avec impatience. Parfois, je rentrais chez mes parents, mais pas souvent, car c’était loin. Ils avaient quitté Paris pour emménager dans un appartement deux pièces en banlieue à Rueil-Malmaison parce que ma mère attendait un enfant. J'eus ainsi une petite sœur, Christine, en mars 1959. J’étais pleine de compassion pour ma pauvre maman : encore une fille alors qu’elle souhaitait désespérément un fils. J’ignorais que j’allais bientôt les rejoindre. Ce serait la fin de ce que j’appelle les années bonheur de mon enfance, celle d’une petite fille qui ne possédait qu’un unique défaut celui de ne pas être un garçon.