Sadibou le jeune homme qui voulait être heureux
Publié le 6 Décembre 2021
Durgalola, qui anime le défi 257 des croqueurs de mots, nous demande d'écrire un texte inspiré par la toile "chassé croisé"de REBECCA BRODSKIS ci-dessous. Cette toile m'a tout de suite fait pensé à une courte histoire que j'avais écrite 2013 que je me permets de rééditer après l'avoir bien entendu quelque peu modifiée et complétée
Sadibou, le jeune homme qui voulait être heureux
Sadibou est au bord du quai avec le chien de la famille et le fils de l’homme qui l’a hébergé quand il est arrivé en France il y a dix ans et qu’il aime comme son frère.
Il se souvient des pleurs de sa mère et sa dernière étreinte, le regard de son père qui au nom s’est durci s’efforçant de ne pas montrer sa peine, les baisers de ses frères et de sa petite sœur Mariama de 4 ans, Pourra t’il les revoir un jour ?
Dans la demi-pénombre du soir qui tombe, Sadibou a quitté la plage de Ngor avant la marée basse, très rapidement, trop rapidement. Il aurait voulu que ce moment tant attendu, qui lui sembla si court, durât plus longtemps pour pouvoir s’imprégner de l’image des lumières de Dakar et de l’île de Gorée s’éloignant pour toujours.
Depuis combien de jours, est-il resté sur cette pirogue tassé au milieu de ses compagnons d’infortune ?
En fin de nuit, le vent s’était renforcé sur la mer, la pirogue avait tangué sur les vagues. il n’avait pas eu peur, étant habitué aux caprices de l’océan pour avoir pêché avec son père sur ces mêmes embarcations quand il y avait encore assez de poisson pour nourrir toute la famille. Sadibou avait regardé le ciel rosir dans les prémices de l’aurore et le soleil sortir timidement de son bain nocturne. Dans l’horizon qui s’était illuminé, un paquebot géant des mers rempli de touristes s’est découpé. Il avait envié un moment ces chanceux. Eux aussi voulaient quitter des lieux connus et leur quotidien pour des destinations de rêve avait-t-il pensé soudain. Peut-être un jour, quand il aurait gagné beaucoup d’argent en Europe, il pourrait faire une croisière luxueuse. Il s’en est voulu aussitôt de cette pensée, s’interdisant alors de rêver à long terme, d’en vouloir plus alors qu’il n’était même pas certain d’arriver à destination.
Le vent s’était renforcé encore. Certains de ses compagnons étaient malades : le manque de sommeil, le froid, la peur, le mal de mer. L’arrivée était proche si l’on en croyait le passeur. Ils ne pourraient pas tenir bien longtemps. En attendant, Sadibou résistait, chantait de vieilles chansons sénégalaises, racontait des histoires pour réconforter ses compagnons : tuer le temps, chasser la peur.
Les vagues étaient de plus en plus hautes et heurtaient violemment la pirogue. Le souci de l’instant tenir, tenir encore, chanter de plus en plus fort, se serrer les uns contre les autres pour se réchauffer.
Un jour a passé, une nuit puis un autre jour et soudain la côte espagnole leur apparût, ils allaient débarquer sur la plage qui s’approchait, s’approchait. Ils avaient réussi. Sadibou aurait dû être gai, mais il avait pleuré, pensant à tous ses hommes et femmes, certains des amis, qui n’avaient pas eu cette chance et avaient péri en mer pour avoir voulu être heureux.
Adolescent seul, il eut de la chance quelque temps après, d’être accueilli, à Bayonne, par une famille française où il vit heureux aujourd'hui.
Il se souvient de son arrivée en France, il pleuvait quand il est arrivé. Le père accompagné de son chien l’attendait. Il l’a abrité sous un grand parapluie rouge et ils ont tous les trois posé pour le photographe de la presse locale.