Consultante emploi / La dernière montée
Publié le 23 Octobre 2009
Nous perdons Mamie NOVA. Notre équipe est scindée en deux : une moitié rejoindra une entreprise concurrente récemment achetée par le groupe et l’autre dont je fais partie : l’équipe déjà importante de Pierre, Je suis navrée de perdre une partie de mes collègues et parmi elles celles que je préférais.
Pierre est un ancien Syndicaliste CGT ayant créé et fait évoluer son cabinet de Ressources humaines avant qu’il ne
soit racheté par notre groupe, D’origine Méditerranéenne, il déborde d’énergie et d’enthousiasme malgré une soixantaine bien sonnée. Il a une forte personnalité et son côté bourru cache une
grande affectivité. C’est un vrai commercial qui pourrait vendre un baladeur à un sourd rien qu'avec les gestes. Son management est très directif et beaucoup dans notre équipe sont très
inquiets d’être sous sa coupe. Avec Pierre, c’est tout ou rien, on plaît et on a toute sa confiance et sa reconnaissance aussi bien affective que financière ou on ne plaît pas et on est
irrémédiablement en disgrâce.
Je sais qu’il aime les personnes de caractère et celles qui se donnent avec abnégation à l’entreprise. Excepté le côté commercial, nous avons beaucoup de choses en commun et une même vision qualitative du métier. J’admire sa compétence. Je me réjouis de rejoindre son équipe. J’espère que cela va améliorer mon image sérieusement détériorée à cause des coups bas de Mamie NOVA et stopper au moins la descente de l'échelle :
Pourtant cela commence bien mal. Il nous reçoit tous un par un et la première chose qu’il me dit en introduction
de notre entretien, « Finie pour toi la relation interpersonnelle avec le candidat, il va falloir être efficace en y passant moins de temps. Saches que lors du découpage de l’équipe en deux,
je ne t’ai pas choisi, tu m’as été imposée, je n’ai pas voulu m’y opposer ». Au moins cela a le mérite d’être franc. J'apprends par la suite qu'il a dit la même chose à chacune et chacun de
mes collègues. Une femme n’aurait jamais dit cela même si elle l’avait pensé.
Très choquée et surprise par cet aveu, je le remercie pour sa franchise et lui réponds que nous sommes quitte, que j’ai eu encore moins le choix que lui. Comment aurais-je pu l’avoir ? et je regrette qu’il m’ait été imposé mais que maintenant que cela a été exprimé, nous allons devoir coopérer au mieux. Il sourit. Je sens à ce moment là que je viens de marquer un point. En effet ensuite il me répond qu’il a une très mauvaise réputation chez les consultants mais que je dois me méfier des réputations et faire par moi-même mon opinion.
Il m’annonce ensuite qu’il s’oppose à ce que le bureau de Cergy ferme et qu’il restera ouvert. La seule
différence. Ce n’est plus un bureau de l’entreprise mais un bureau appartenant exclusivement au Département emploi puisqu’il le finance seul et qu’il m’interdit d’y accueillir des consultants
d’autres services. Il ajoute qu’il trouve injuste cette décision de notre Directrice Générale qu’il ne semble pas porter dans son cœur.
Je lui parle de mes objectifs complètement irréalistes. Il me dit que je suis trop payée comme beaucoup de seniors et que pour justifier ce salaire, on me fixe des objectifs démesurés. je lui annonce que je suis prête à partir et négocier mon départ et que je ne me représenterai plus aux élections de délégués du personnel pour pouvoir partir plus vite. J'avais oublié de vous dire dans l'épisode précédent que, du temps de Mamie Nova, j'avais été élue délégué du personnel titulaire sur une liste non syndiquée. Sur ce il me dit que c'est une erreur car en étant salariée protégée, je peux toujours partir si je le souhaite et obtenir plus dans la négociation. Ayant été une déléguée du personnel peu efficace faute de temps à y consacrer, je ne me représenterai pas tout de même.
Je préfère l'avertir avec franchise que je ne suis pas une « chasseuse » mais que lorsque j'obtiens un client il m'est longtemps fidèle et que d’autre part je suis trop prise par la réalisation de missions pour avoir du temps pour la prospection commerciale. Ne t’inquiète pas me dit-il, je vais te confier de grands projets nationaux pour que tu puisses justifier ton salaire. J’apprécie sa confiance mais d’un autre côté cela me fait très peur. Ma confiance en moi toute relative me fait craindre de le décevoir. De plus je me dis que cela va impliquer des déplacements et m’éloigner de mes activités extra-professionnelles auxquelles je tiens.
Il me confie aussi des projets mal partis où les relations sont devenues conflictuelles avec le client pour remonter l’image de la Société. Je l’accompagne chez un de ses clients en Province. Il me présente comme le nouveau chef de projet, un peu le messie qui va faire des miracles !!! Les clients sourient et rient même. Son tempérament Méditerranéen le rend trop affectif et excessif face à des clients très rationnels et très méfiants vis-à-vis de notre entreprise.. Tout est dans l’excès chez Pierre.
Au retour, notre TGV a du retard, il m’offre un café au buffet de la Gare et nous rencontrons une de ses connaissances : Le Directeur Départemental de l’emploi de ce département. Il les connait presque tous. Son réseau est très important dans le domaine de l'emploi. Il me présente toujours avec un excès de qualificatifs élogieux. Trop c'est trop. Je rougis, je deviens maladroite déjà que lorsque je ne connais pas je ne suis pas à l'aise...
Ils parlent entre eux comme deux vieux camarades qui ne se sont pas vus depuis longtemps. Je les écoute. Notre TGV est annoncé, il n’entend pas. Je lui fais remarquer que nous allons le manquer et il continue à parler. Nous le ratons. Il fait ensuite un scandale au guichet de la gare en disant que c’est inadmissible qu’ils ne nous aient pas prévenus par haut-parleur que notre TGV était enfin arrivé. Je pense réellement que, pris dans sa conversation, il n’a entendu ni le haut-parleur, ni mon avertissement. Nous regagnons Paris. Il me parle de sujets professionnels et de collègues malades ou qui ne sont plus avec les larmes aux yeux. Il se confie et le temps passe vite dans le train.
Je prends la responsabilité de ce projet dont je me serais bien passée. C’est une mission très difficile avec des
interlocuteurs qui resteront froids et désagréables. J’arriverai juste à mener à bien ce projet jusqu’à sa fin sans nouveau conflit et avec même un compliment du DRH sur mes premières
actions pour relever la situation.
Entre temps la nouvelle Directrice Générale critiquée par beaucoup nous quitte pour un poste à responsabilité dans
un grand groupe. Elle n’est pas remplacée.
Pierre m’apporte aussi des affaires sur un plateau, il ne me reste plus qu’à aller voir le client et négocier ce
qui me permet de ne pas démériter au niveau commercial. A la fin de l’année, il augmente mon salaire. Quand je m'étonne avec humour qu'il augmente quelqu'un de déjà trop payé. Il me répond qu’il
ne va peut être pas rester longtemps à la tête de ce département et que cela pourra compenser un peu ma prime de responsabilité de bureau que j’ai depuis 5 ans et qu'il a refusé de supprimer aux
responsables de bureau mais que son successeur suprimera certainement.
Je suis étonnée des ses confidences. Va-t-il partir à la retraite. Je ne le vois pas du tout retraité. Il
s’ennuiera trop. Peu de temps après, on apprend qu’il est nommé Directeur de l’innovation avec une équipe très réduite à manager. Je suis triste, je l'aimais bien Pierre.
Il est remplacé par un Directeur Régional que j’ai bien connu puisqu’il est issu comme moi de l’entreprise qui a été rachetée par notre Groupe, vous savez l’entreprise aux tournesols. Des souvenirs de « jeunesse » qui devraient nous rapprocher.
Pourtant, l'avertissement de Pierre liée à une mauvaise intuition m'inquiètent sérieusement. J'ai remonté quelques barreaux que j'avais descendus avec Mamie Nova mais je crains que ce soient les derniers barreaux avant la chute vers la retraite peut être via le palier du pôle emploi..... C'est hélas le lot de beaucoup de seniors que l'on veut faire travailler plus longtemps mais que les entreprises forcent à partir dans des plans de départ volontaire, des plans de sauvegarde de l'emploi ou des licenciements transactionnels.... C'est tout le paradoxe actuel.