Tu as voulu voir Venise et tu as vu Bruges
Publié le 19 Novembre 2012
Pour la petite fabrique d'écriture ce texte sur une photo de Joëlle CHEN
Photo de Joëlle Chen
Quelle idée saugrenue d’aller à Bruges en plein été, il y fait chaud, il y a trop de touristes qui envahissent la ville. J’étouffe à Bruges. En Belgique, je pense à Jacques BREL et je chantonne en moi « Tu as voulu voir Venise et tu as vu Bruges »… Et bien Jacques Je vois tout de même Venise mais celle du Nord, celle de ton plat pays.. Alors pour faire illusion jusqu’au bout et rechercher un peu de fraîcheur sur l’eau, faute de gondole, je décide de me faire mener en Bateau. Après une demi-heure de queue, je me retrouve enfin dans une longue barque avec une quinzaine de personnes, ce n’est pas la promenade en amoureux avec le gondolier, il y a beaucoup moins d’intimité. J’essaye de passer le temps en regardant le paysage : que des vieilles pierres, des ponts anciens, des clochers. Sur les berges parfois des pêcheurs qui taquinent je ne sais quel poisson car je crains fort qu’ils rentrent bredouilles avec tout ce trafic sur les canaux.
Les barques en font le tour et se suivent de si près qu’elles pourraient presque se toucher. J’ai l’impression
d’être sur la rivière enchantée du jardin d’acclimatation ou dans un grand manège ou j’adorais quand j’étais petite monter dans les éléphants ou les barques qui décollaient et attraper le ballon
et j’y arrivais souvent. J’ai toujours eu l’esprit de compétition. "Il faut toujours que tu fasses remarquer" me
reprochait sans cesse ma mère qui n’avait qu’un seul objectif être invisible, complètement invisible.
Ici à Bruges, je suis grugée, il n’y a même pas de ballon. Je suis sûre que je suis une martienne venue un jour sur terre, d’ailleurs je m’appelle Martine. J’ose toujours espérer qu’un jour les éléphants et les barques pourront voler comme des soucoupes volantes et si cela arrivait je monterai dans la première et je serais chef d’escadrille et je retournerai sur Mars.
Au moment précis où je me vois dans l’embarcation de tête d’une escadrille composée de barques et d’éléphants roses, notre
barque se met lentement à décoller, puis accélère pour faire du rase-motte au-dessus du canal. Les autres barques derrière décollent également et nous suivent…. Les passagers affolés
crient. Attention le pont nous allons nous écraser sur son tablier. Etant chef d’escadrille je dois prendre tout de suite la bonne décision, j’appuie sur la flèche du haut de mon
téléphone mobile et la barque prend de la hauteur et passe au-dessus du pont, j’attrape au passage un ballon qui volait au-dessus du pont. J’ai gagné un tour gratuit mais pour en bénéficier, il
faut que je redescende. J’appuie sur la flèche du bas de mon mobile, et la barque redescend et suit le cour du canal à petite vitesse.
A chaque pont je fais prendre de l’altitude à la barque puis l’obstacle passé, je redescends. C’est angoissant mais grisant de voir ainsi Bruges en apesanteur.
Et si notre barque arrêtait de suivre le cours de sa vie normale, celle du canal pour s’évader enfin, emprunter d’autres voies, sortir de son destin. Je prends de l’altitude pour dépasser les toits des maisons et des clochers. Ensuite j’hésite une seconde : appuyer sur la flèche de gauche de mon téléphone ou celle de droite et j’enfonce la touche gauche (j’ai toujours été à gauche), la barque volante prend de la vitesse. Nous arrivons sur la place centrale. Le beffroi se met à sonner midi. Je crois que c’est la sonnerie de mon téléphone portable. J’appuie sur la touche pour répondre à cet appel et soudain la barque tombe à pic à toute vitesse. Je n'ai jamais voulu être chef. Nous nous écrasons juste au milieu de la place et nous passons à travers le dallage.
Je me réveille horrifiée, dans mon rêve je suis encore tombée brusquement dans un trou sans savoir comment j’y étais
parvenue, je ne me souviens de rien.
Eglantine / Novembre 2012