Famille je vous (H)AI(S) ME
Publié le 28 Juin 2011
C’est samedi, il fait beau mais pas de ballade à vélo aujourd’hui. Nous sommes invités à l’anniversaire de mariage de mon beau
frère (40 ans d’union pour le meilleur et pour le pire cela se fête). Nous n’en sommes qu'à 38 ans. Comme le temps passe vite et nous nous sentons encore plus vieux aujourd’hui.
De plus c’est nous pour nous une corvée à laquelle nous avions décidé d’échapper. Mais notre fille nous a assénés : « Il faut que vous y alliez, c’est LA FAMILLE tout de même ». Le tout de même nous a aussitôt culpabilisé.
- "Tu y vas lui ai-je répondu ?"
- "Non maman, je suis d’astreinte ce jour là !!! "
Notre fille aurait pu se faire remplacer, échanger une astreinte avec un autre collègue médecin comme elle le fait parfois.
Nous serons tous d’astreinte finalement : elle d’astreinte médicale, nous d’astreinte familiale parce que, en plus, nous n’aurons pas le plaisir de voir notre fille, notre fils qui a rayé une croix sur toute sa famille, et tous nos petits enfants réunis.
Pour nous avant la famille se réduisait à nos enfants et c’est d’ailleurs ce que nous leur avons involontairement inculqué. Nous en subissons les conséquences directement aujourd’hui ou paradoxalement nous trouvons que la famille : frères, sœurs, cousins, cousines c’est important même si nous n’avons pas les mêmes intérêts, les mêmes idées, la même façon de vivre. Est-ce un besoin en vieillissant, après avoir beaucoup volé en toute liberté de se rattacher à nos racines ?
Avant de nous rendre dans le lieu des agapes familiales, un charmant village bourgeois au sud de paris aux limites extrêmes de l’île de France, nous devons faire une détour de 30 Km au nord ouest de chez nous pour aller chercher ma belle-mère qui a 85 ans.
Mon beau frère ayant ordonné à son petit frère, mon époux, d’aller chercher leur mère ce que nous allions faire mais nous n’avions pas prévu de la ramener car mon chéri a un autre frère plus âgé qui participera à la fête et qui habite plus près de chez elle.
Mais c’est ainsi ma belle famille cultive le culte de l’aîné, c’est au petit frère que les grand frères et la grande soeur ordonnent toutes les corvées. En l’occurrence son grand frère lui avait demandé également d’aller en plus chercher et ramener une vieille cousine lointaine qu'il ne connaît pas à l’est de Paris. Mon chéri ne s’est pas laissé faire et a refusé catégoriquement en lui répondant qu'il n’était pas taxi et que sur les 60 invités il y en avait bien un qui habitait Paris, ce qui lui a valu la réprobation de son aîné.
Pendant le trajet, dans les embouteillages, à l’arrière de la voiture, je pense à cette journée. Que vont-ils encore nous réserver aujourd’hui pour nous punir de la rébellion de mon chéri. La dernière fois nous avions déjeuné dans le garage avec les enfants et les jeunes et nous avions eu le droit comme eux au menu enfant "rillettes, chipolatas, chips" !
Mes pensées sont interrompues par la mamie qui nous demande si nous avons des nouvelles de notre fils. Elle souffre également de son silence et se l’explique encore moins que nous. Elle a toujours été une grand-mère aimante pour ses petits enfants. Nous lui répondons que nous n’en avons pas. Les larmes me montent aux yeux que j’essaye de contenir. La journée s’annonce mal. Si j'étais seule, je ferais demi-tour.
Après plus de deux heures nous arrivons enfin dans les derniers. Je n’ai pas revu les les cousins de mon chéri depuis longtemps. Je les trouve forcément vieillis, certains se sont empâtés. Je pense qu'ils nous trouvent également ridés et cette idée me déplaît. Ses frères et soeurs que j’ai vus à Noël avec vingt kilos de plus semblent ne rien voir et ne me félicitent pas pour avoir autant maigri. Pourtant pendant la période où je grossissais, ils me le faisaient remarquer. Je ne suis pas étonnée mais néanmoins déçue.
Par contre les « avez-vous des nouvelles de votre fils » prononcés avec un air d’enterrement inquisiteur fusent de partout alors que nous n’avons dit à personne que notre fils tant aimé avait décidé de nous rayer de sa vie.
Certains ajoutent mais vous avez des nouvelles de vos petits enfants au moins. Le au moins est terrible et assez pervers parce que nous n'avons aucune nouvelle et n'en aurons pas.
Non on en a pas leur rétorque t'on rapidement avec un ton qui leur laisse comprendre qu'il est inutile d'insister sur le sujet.
En effet nos petits ne répondent pas encore tout seuls au téléphone, leurs parents ne répondant jamais ni à nos appels ni à nos messages, on a cessé de téléphoner aussi, ce rejet étant insupportable. Certains parents dans la même situation que nous se battent pour voir leur petits enfants et vont même jusqu’en justice, nous ne le ferons pas car voir nos petits enfants, sans voir notre fils ne nous intéresse pas et il est hors de question d'ester contre notre fils. Nous leur envoyons des cartes, des cadeaux. Ils ne savent pas lire. Savent-ils qu’ils sont de nous ?
Les larmes remontent, je les contiens tant bien que mal. J’ai envie de partir. Après l’apéritif, kir et petits gâteaux que je boude, régime oblige, vient le moment des discours des vieux mariés.
Nous commençons par la "patriarche" : ma belle sœur soeur, aînée d'une famille nombreuse : une femme de caractère qui dirige tout comme une maîtresse femme d’une manière très directive, assez rigide. J’ai arrêté d’échanger avec elle car ce n’est pas possible : elle a toujours raison et nous avons toujours tort. Elle est la fille d’un des grands fonctionnaires d’état d’outre mer de notre république et a vécu toute son enfance dans les palais dorés sur d’autres continents entourés de gens pour la servir. Nous sommes d’ailleurs dans la maison de campagne de ses parents dont ils ont hérité, une jolie maison qui aurait besoin d’un ravalement et d’un rajeunissement sur un terrain immense bien aménagé en lisière de forêt. Le portrait du patriarche avec toutes ses médailles sur son costume est affiché avec celle des vieux mariés et de la famille le jour du mariage. Qu'ils étaient jeunes et mon chéri aussi. Qu'il avait l'air de s'ennuyer ce jour la. Nous étions des gamins.... Nostalgie quand tu nous tiens.
Elle rappelle dans son discours qu’ils fêtent leur 40 ans de mariage mais également, leur anniversaire, leur retraite qu’ils viennent de prendre, retraite qui ne pourra qu’être active. Elle ajoute qu'ils fêtent aussi ses palmes académiques qui lui ont été remises par le président de son université…. Dommage aux lieux de chaises de jardin nous aurions dû lui offrir un masque et un tuba.
Tout le monde applaudit même nous pris dans l’enthousiasme collectif .
En pensant au masque et au tuba, je passe des larmes au fou rire que je j'intériorise aussi. Elle rend hommage à son père qui a fait construire cette maison, aménagé son parc, à tous ceux qui les ont aidé à entretenir cet immense espace ce qui leur a évité de payer un jardinier.
Elle termine son discours. Elle n’aura pas eu un mot pour son époux avec qui elle a partagé 40 ans de vie, ni pour leur fils adopté présent à cette fête. Je suis pourtant certaine qu’elle les aime tous deux mais on ne montre pas ses sentiments quand on est une femme de caractère, on les intériorise. Je ne peux pas la critiquer sur ce point, j’ai aussi beaucoup de mal à dire à ceux que j’aime que je les aime. J'en paye aujourd'hui les conséquences. Néanmoins en pareille circonstance j’aurais parlé de mon époux et de mes enfants qui sont ma raison de vivre.
Je repense à mon fils, les larmes me montent de nouveau aux yeux.
Mon beau-frère prend à son tour la parole. C’est un hommage très particulier à son épouse un inventaire à la Prévert fait sous forme d’alphabet :
A comme autoritaire…. E comme énergique….. .. T comme têtue…. V comme voix (elle a la voix qui porte précise-t-il avec raison car elle ne parle pas elle hurle)… Z comme zodiaque, elle est scorpion, ce n'est pas pour rien rajoute t'il….
Ce n’était pas vraiment un hommage mais c’était touchant
On sent dans cette longue litanie l’homme qui a été « écrasé » toute sa vie par une épouse dominatrice qu’il aime néanmoins ainsi. Il ne prononce pas non plus un mot sur leur fils. Cela me choque vraiment.
Nous passons à table : méchoui et salades à volonté, vin de bourgogne d’excellente qualité.
Pour le dessert : petits fours et fruits (framboises et myrtilles) que nous cueillons directement dans le
jardin.
Nous nous sommes régalés.
Nous partons les premiers vers 18 heures.
Nous raccompagnons la mamie chez elle et enfin seuls dans la voiture nous échangeons nos impressions sur la soirée.
Fêterons nous nos 40 ans de mariage dans deux ans, nous le pensions, ce soir nous ne savons plus ....
La seule chose que je sais c'est que lorsque l'on épouse quelqu'un on épouse aussi sa famille pour le meilleur.... et pour le rire car mieux vaut en rire qu'en pleurer.