Les grandes douleurs sont muettes

Publié le 1 Juin 2011

M…. avait 50 ans. Il venait d’être victime d’un plan social d’une grande entreprise. Je le conseillais dans sa reconversion professionnelle. Il avait un beau projet M…., pouvoir sillonner la France, l’Europe au   volant d’un car de tourisme. Il était célibataire ce qui lui laissait une grande disponibilité. Il avait son permis transport en commun, n’avait pas conduit depuis longtemps mais prenait des cours de conduite et avait entrepris la formation sécurité indispensable pour exercer le métier. Il savait que pour pouvoir conduire des cars en dehors de sa région, il devrait conduire au moins un an des bus en banlieue mais il était prêt à le faire tant son projet le motivait. Conduire le motivait plus que rester derrière un bureau comme il le faisait auparavant.
Quand il venait à nos entretiens, il était toujours souriant, plaisantait. Il était énergique, volontaire, extraverti.

Il en voulait beaucoup à l’entreprise qui l’avait jeté après tant d’années de service mais c'était pour lui une opportunité : l’occasion de faire un métier qu’il rêvait de faire depuis longtemps.

Je l’avais appelé récemment pour lui demander si ses cours de conduite lui permettaient de se sentir à l’aise dans la conduite. Il m’avait indiqué qu'il avait terminé les cours et qu’il était maintenant tout à fait apte à conduire. Il venait de débuter sa formation sécurité FIMO.

Nous étions convenus de nous revoir fin juin pour débuter sa recherche d’emploi. Je connaissais déjà des entreprises à qui le recommander.

Pourquoi je parle de M…. au passé parce que M., dimanche dernier en fin de soirée, s’est jeté de la fenêtre de son immeuble.

 

 

Ce n’était pas un geste impulsif, mais un geste prémédité.

Il a pris le soin d’appeler ses amis, collègues d’infortune victimes du même plan social  pour échanger avec chacun d’entre eux avant de les quitter. Aucun n’a senti sa détresse.

Il a passé la journée du dimanche avec ses parents qui n’ont rien vu de particulier. Il leur a laissé une lettre pour fixer les modalités de ses obsèques avant de faire le grand saut pour l’au-delà. Il souhaite être incinéré et que ses cendres soint jetées du haut des falaises d'Etretat.

 

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Habituée à la relation individuelle avec des publics parfois en difficulté, je ressens beaucoup de choses, de non dits et je me pensais assez psychologue. Mais pour M….je n’ai rien vu, rien senti de sa détresse. Je m’en veux.

Ses proches, ses amis s'en veulent aussi, ne comprennent pas.

Je ne comprends pas non plus mais à quoi servirait-il maintenant de comprendre ? :

 

« les grandes douleurs sont muettes ».

Rédigé par eglantine

Publié dans #Vécu

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J
On ne voit rien venir parce que justement celui (ou celle) qui est déterminée à ce geste définitif fait diversion pour le réussir. C'est vrai que c'est traumatisant pour son entourage ou ceux qui étaient en position d'aider. <br /> En témoigner est courageux et peut-être utile à d'autres qui un jour se sont trouvé dans cette postion<br /> bises Martine
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S
un témoignage poignant!!
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D
je suis sûre que cet homme a apprécié ta bonté. Il a choisi un paysage de grandeur et de beauté pour sa fin. Il aimait la vie ... il n'est pas simple de commencer une nouvelle activité (paperasseries, facturation ... ). vivre à deux n'est pas toujours simple, mais quand même on se soutient. Mon frère a eu des expériences difficiles dans ces entreprises (encore là actuellement) ; il est seul aussi. Ma soeur et moi même veillons sur lui chacune à notre façon. Bises
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K
Ton article me cogne et me ramène à un presque deux ans en arrière ... pas les mêmes circonstances, mais les mêmes finalités ... pas vraiment d'appel au secours, juste un dernier au revoir, mais ça on ne le comprend qu'après ...
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N
La vie quotidienne et ses moments intenses ...
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