Pladoirie pour défendre "l'indéfendable"
Publié le 12 Septembre 2012
Pour le jeu d'écriture de la première quinzaine de septembre 2012 du blog miletune, voici ma participation :
PLAIDOIERIE POUR DÉFENDRE L'INDÉFENDABLE
Avant de venir plaider aujourd’hui, J’ai réalisé un micro-trottoir devant le palais de justice en tenue d’avocat. J’ai posé une question, une seule question à une cinquantaine de personnes dans la rue : hommes, femmes, jeunes vieux aussi représentatifs de notre Société que vous Messieurs les jurés.
Quelle était cette question ?
Qu'est ce qui peut être indéfendable ?
Les réponses sont très variées dans le genre.
Parmi les plus courantes :
- les criminels : violeurs et meurtriers d’enfant, auteurs de génocides, terroristes,
- Les pervers harceleurs et les entreprises qui les protègent
Parmi les plus idéologiques
- Le capitalisme
- Les politiciens
- La peine de mort
- Le travail des enfants
Parmi les plus originales, manière élégante de botter en touche avec un humour
- Ma belle mère
- Mon percepteur
- Mon miroir
-
Mon patron
- Les avocats qui acceptent de défendre les indéfendables (et l’interviewé de rajouter pour faire pardonner cette critique)…. Même s’ils ont du courage à plaider des causes perdues d’avance
Et c’est vrai qu’il en faut du courage car, comme le disait Pierre DAC, « En bonne justice, il est rare qu’une cause perdue soit retrouvée »
La réponse que je préfère est humaniste. C’est celle d’un jeune interviewé me répondant avec une belle assurance : « l’indéfendable n’existe pas ». Tout et chacun peut être défendu. Je me suis dit que j’étais face peut être à un futur confrère car pour être avocat, il faut être intimement convaincu qu’il n’y a pas de coupable d’action qui ne peut être défendu et à qui l’on ne peut trouver d’excuse, de circonstances atténuantes comme on dit dans notre jargon judiciaire.
Qu’est-ce qu’une une action sinon :
- soit une folle pulsion, impulsion incontrôlable due à la folie,
- soit une intention transformée en acte
Ce n’est pas l’intention mais l’acte que nous jugeons et à travers lui la personne qui s’en est rendue coupable.
Si nous devions juger l’intention : les tribunaux qui sont déjà pleins déborderaient.
En toute sincérité, que ceux qui parmi vous, Monsieur le Président, Monsieur l’avocat général, Messieurs les Jurés n’ont pas eu un jour l’intention même furtive, de voler, de frapper, de nuire à quelqu’un d’haï, voire de se débarrasser de lui lèvent le doigt.
Aucun doigt levé : merci de votre honnêteté. Pourtant aucun de vous n’est passé à l’acte. Pourquoi ?
Tout simplement en raison des valeurs qu’on vous a inculquées, de la raison qui à cet instant vous habitait et vous habite encore, qui vous habitera certainement encore demain mais pouvez-vous en être si certains ?
Non n’est-ce-pas …. l’impulsion folle peut guetter chacun d’entre nous.
Attention c’est en tenant compte de ces mêmes valeurs de ce que vous considérez comme bien que vous allez juger ce que vous qualifiez d’indéfendable donnant raison à Aristote qui écrivait « ce n’est pas le mal mais le bien qui engendre la culpabilité »
L’indéfendable que je défends aujourd’hui est coupable à vos yeux, vous attendez peut être ses excuses pour atténuer la peine que vous allez prononcer, il n’en fera vraisemblablement pas car l’indéfendable se sent rarement coupable au nom de ses propres valeurs ou de la perte de la raison. Seuls ceux qui se sentent coupables peuvent s’excuser
« La justice est la forme endimanchée de la
vengeance »
de Stephen Hecquet
cette même vengeance qui a conduit mon client à commettre l’irréparable.
Eglantine / Septembre 2012
http://quaidesrimes.over-blog.com
P.S.
Merci à mon ami Françoise pour m'avoir inspiré bien involontairement au cours d'une discution cette plaidoierie car cela
faisait plusieurs jours que je cherchais une idée sur cette photo du tableau de Daumier qui ne m'inspirait pas du tout