Qui ?
Publié le 3 Juin 2012
Je contemple le bouquet composé de roses blanches et roses thé. Je dénoue le lien de raphia paille, retire l’emballage transparent et le papier de soie corail. Je coupe la ficelle verte et raccourcis les queues des fleurs en biseau. Je sors du placard de la cuisine mon vase en forme de cœur en cristal sur pieds, le remplis à moitié d’eau et dispose les roses. Je soulève le vase et porte les roses à mes narines pour m’enivrer de cette odeur à la fois profonde et suave. Satisfaite du résultat, je pose le bouquet sur la table blanche de mon studio face au canapé en cuir blanc. J’aime le blanc et pour rompre cette vague blanche, j’ai posé sur mes meubles quelques décorations couleur vieux rose ou vert pomme. C’est magique cette composition florale est parfaitement adaptée à mon décor romantique et féminin comme à chaque fois et à ma personnalité d’adulte restée jeune fille et qui deviendra vieille fille car j’ai du mal à quitter la magie de l’enfance.
C’est le troisième bouquet anonyme que je reçois livré par le fleuriste de mon quartier avec chaque fois quelques mots écrits sur une carte blanche « je pense chaque jour à toi, Je t’aime Emma ». A chaque fois cinq roses toujours blanches et quatre roses thé. Aujourd’hui, seul changement : il y a 29 roses dans le bouquet, comme les 29 bougies que je soufflerai seule en ce soir du vendredi 9 septembre 2011. J’ai pris une journée de congés pour la circonstance et cela va me faire un week-end de trois jours.
J’ai demandé au fleuriste si il pouvait me dire qui était cet expéditeur qui, le 9 de chaque mois m’envoyait ce même bouquet avec toujours le même mot. Il m’a répondu que c’était impossible, il ne pouvait révéler l’identité de ses clients. J’avais seulement réussi à lui extirper que l’expéditeur ne commandait pas les fleurs par téléphone ou internet mais se déplaçait à la boutique. Il m’avait rassurée en me disant « ne vous inquiétez pas Mademoiselle, tout ce que je peux vous dire c’est que votre expéditeur ne semble pas bien dangereux.
Aujourd’hui il avait fait rajouter sur le carton 4 mots « bon anniversaire ma chérie. Être admirée, aimée en secret n’est pas pour me déplaire bien au contraire, c’est très romantique, mais ce « ma chérie » me contrarie, cette familiarité m’angoisse soudain. De plus il semble si bien me connaître. M'épie-t-il en secret.
Il y a eu les bouquets mais aussi les cartes postales avec toujours les mêmes mots : « je pense chaque jour à toi, Je t’aime Emma » Ces cartes représentant toutes des chats sont envoyées des quatre coins de l’hexagone : de Cergy, Nice, Bordeaux, Metz mais c’est toujours la même écriture. Il sait que j’adore les chats, j’en parle souvent sur mon blog.
Il connaît la date de mon anniversaire et mon adresse. Pour la date d’anniversaire c’est facile, elle figure dans la
présentation de mon blog et je l’ai indiqué à DOM une blogueuse qui indique chaque jour sur son blog les anniversaires du jour. Mon adresse je l’ai communiquée aussi à de nombreux blogueurs
pour qu'ils puissent m’envoyer des cartes postales et je leur en envoie en échange. Je sais que c’est stupide mais je me sens si seule et cela me fait plaisir de recevoir de temps en temps du
courrier car sinon personne ne m’écrit ou me téléphone. Je vis seule sans famille, mes parents sont morts jeunes, ils étaient enfants uniques. Mes grands-parents
maternels sont aussi décédés. Je n’avais presque pas connu mes grands-parents paternels qui avaient passé leur vie à voyager et avaient disparu de notre vie alors
que j’étais très jeune.
En pensant à mes amis blogueurs, me vient une idée. Je saisis mon appareil photo numérique et prends une photo du
bouquet. Je regarde le résultat sur l’écran de l’appareil : Superbe. Je scanne ensuite les cartes postales reçues et le dernier message « je pense à toi chaque
jour, je t’aime Emma, bon anniversaire ma chérie ». Je m’assois sur mon fauteuil de bureau face à mon ordinateur portable, j’accède à l’administration de mon blog et
j’écris ce nouvel article avec ce titre « QUI ? ». J’insère la photo du bouquet et les cartes reçues. Je rajoute en conclusion que pour vivre heureux il ne faut pas vivre
caché et que je serais très heureuse qu'il se révèle à moi. Je demande à mes lecteurs d’indiquer en commentaires leurs idées pour le démasquer au cas fort probable où il ne se
ferait pas connaître .Je clique sur « publier l’article ». Je modère les commentaires pour que mon admirateur ne puisse pas lire les moyens de le confondre et j’attends
avec impatience.
Les premiers commentaires s’affichent :
Superbe bouquet. Bon anniversaire Emma. Aujourd’hui grand soleil ici. Merci pour ta fidélité je passe en vitesse te souhaiter un très bon vendredi. A bientôt bises amicales. Pierre17
Encore un qui ne lit pas, qui ne fait que passer chaque jour, un zappeur du net. Et si c’était lui…. Je chasse cette idée, non ce n’est pas ainsi que je me l’imagine. Je serais déçue si c’était lui
La rose blanche témoigne d’un amour pur, profond, elle peut aussi exprimer « je vous aime en silence, en secret ». La rose thé exprime le message « je me souviendrai toujours de toi » ton admirateur te connaît peut-être, Je ne sais pas si cela t’aide beaucoup. Bisous Emma. Chuchotine
Son admirateur connaît-il le langage des fleurs, pas certain. Emma pense à ses amours passés et notamment à guillaume qui était secret et romantique. Cela pourrait lui ressembler
Bon anniversaire, Tu en as de la chance d’avoir un admirateur Emma, je t’apprécie beaucoup mais je te jure ce n’est pas moi. Le Quéqué
Pourquoi le Quéqué se justifie-t ’il ? Seuls les coupables se justifient mais je suis presque certaine que ce n’est pas lui cela ne lui ressemble pas, il est trop bavard. Même s’ils sont pour la plupart restés virtuels, je commence à très bien les connaître mes amis blogueurs.
Ton intérieur te ressembles Emma, je comprends que cela puisse t’angoisser. Pourquoi ne te postes tu pas devant le
fleuriste le 9 octobre prochain et si tu vois un client rentrer, se diriger vers la caisse, payer et ressortir sans fleurs tu seras fixée. Bon anniversaire. Bisous des retraités qui aimeraient
bien avoir 29 ans et encore des admirateurs. Monette
J’aime beaucoup Monette mais prendre un jour de congés pour faire le poireau devant chez le fleuriste toute une journée me
rebute vraiment, on va se demander ce que je fais là, peut être appeler la police mais elle a raison Monette , c’est la seule solution. Je sors mon iPhone de ma poche pour regarder quand tombe le
9 octobre …. C’est un dimanche. Non seulement je n’aurais pas à prendre un jour de congé, le fleuriste n’est ouvert que le matin et l’admirateur va certainement venir de bonne heure pour que je
puisse être livrée dans la matinée. J'aurais moins de temps à attendre
Un mois plus tard. Je me lève tôt pour un dimanche et je suis en faction devant le fleuriste dès 9 heures.
Un jeune homme brun hésite un peu avant de rentrer dans la boutique, se dirige directement vers la caisse et échange avec la fleuriste qui retire délicatement des roses rouges d’un vase qu’elle dispose délicatement dans du papier transparent. Hélas ce n’est pas mon admirateur, il doit avoir un rendez-vous galant. Heureuse élue. Beaucoup de bonheur à eux.
Plusieurs clients entrent et ressortent avec des fleurs de la boutique.
Un vieux couple main dans la main passe sur le trottoir, je les observe, cela m’émeut toujours de voir des vieux qui s’aiment toujours avec une si grande tendresse. La dame me regarde furtivement avant de rentrer dans la boutique. Ils se dirigent vers la caisse, échangent longuement avec la fleuriste.
Soudain mon regard est détourné par, un homme brun d’une quarantaine d’années qui s’arrête devant les fleurs de l’étalage du fleuriste. Il rentre dans la boutique. C’est lui j’en suis certaine, une impulsion me pousse à le suivre et à pénétrer dans la boutique.
Une fois rentrée, il se dirige vers le vase de roses thés, Les contemple en silence. Je suis sous le charme, quel bloggeur se cache derrière ce bel homme au regard si doux, je ne peux le dire…..
J’entends soudain la voix de la vendeuse demander au couple de vieux : "le même message comme d’habitude". La vieille dame répond "oui le même message, c’est pour notre petite fille que nous n’avons pas revu depuis longtemps". Cette voix ne m'est pas inconnue. Je détourne mon regard vers le couple, le vieux se tourne vers moi et dans ses yeux je retrouve ceux de mon père. Je regarde ensuite son épouse nos regards se croisent.
Des souvenirs enfouis remontent soudain : le regard de Mamie Simone me regardant avec tendresse, ses câlins, les cris de mon père et les larmes de Mamie et Papi un soir d’été quand nous sommes partis brutalement avec papa et maman.
Les larmes coulent sur mon visage, je prends une rose thé dans le vase et la tends à cette femme en lui disant : c’est pour toi Mamie, c’est bien toi n’est-ce pas ? Nous nous regardons. Elle me prend dans ses bras et me serre fort en m’embrassant et en murmurant en pleurant : Oui c’est nous Mamie et Papi. Merci Emma.
Eglantine / Juin 2012