Retour vers le passé
Publié le 19 Mai 2012
Ce matin, je vais chez un client à Rueil-Malmaison pour le compte-rendu d'un bilan de compétences. J’aime faire des bilans et la restitution du salarié à sa Responsable Ressources Humaines est un moment qui permet au salarié de s’approprier son travail de bilan et "vendre" son projet d’évolution interne. J'interviens peu, la déontologie du métier m’interdit de restituer sans le salarié, mais ma présence à ses côtés est un soutien. Je peux l'aider parfois à répondre à certaines questions.
Aujourd'hui, ce n’est pas une restitution comme une autre, je suis extrêmement émue pendant le voyage en RER. Je suis partie bien plus tôt. Lorsque l’on vit en Île de France, il faut toujours anticiper un retard de train ou de RER. Ce matin, tout fonctionne parfaitement, un miracle. J’arrive à la gare de Rueil-Malmaison. L’entreprise est toute proche. J’ai une heure à tuer et je me réjouis d'avoir le temps de me promener. Je n’ai pas emporté la sacoche lourde avec mon PC portable comme de coutume. J’avais l’intention d'effectuer cette promenade avant de me rendre à mon rendez-vous professionnel, mais je ne savais pas si j'en aurai la force !
J’ai quitté Rueil-Malmaison pour Saint-Ouen l’Aumône en mai 1981, la veille de la victoire de François Mitterrand, que nous avons fêtée dans notre nouvelle maison toute neuve le dimanche soir.
Nous sommes aujourd’hui le 3 mai 2012, trois jours avant le second tour décisif des élections présidentielles. Je ne suis pas retournée dans ce quartier de la gare où j’ai vécu, pendant vingt-deux ans, les plus difficiles et les plus belles années de ma vie. J’y perçois un signe du destin et je me dis que cela ne peut que porter chance à François Hollande.
Je traverse la grande avenue de Colmar, je me souviens encore de son nom ; elle reliait, à l'époque, le Pont de Chatou à Nanterre. À cette heure de pointe, le flot des véhicules est incessant et fort bruyant. Je dois guetter, bien sagement le feu pour traverser. Il y a infiniment plus de circulation qu’à Cergy. Je traverse prudemment. Face à moi, une fontaine qui, avant, n'était pas là.
Je prends quelques photos pour les montrer à mon Jeff avec qui j’ai vécu ici les plus belles années de ma vie.
Je n’aime pas trop aller seule dans les cafés, mais je suis attirée par la brasserie « le Napoléon » et ne peux qu’y pénétrer même si, au dernier moment, j’hésite de peur que l'émotion me submerge.
Cela n’a pas beaucoup changé excepté les serveurs. Je m’assois sur la terrasse couverte, au même endroit exactement où je me suis installée, il y a 41 ans, par un bel après-midi de juin, face à un jeune garçon aux cheveux longs et auburn que je n’avais jamais vu auparavant, mais avec qui j’échangeais régulièrement sur la CB, l'ancêtre du blog (voir mon article précédent).
Je ne me l’imaginais pas ainsi. J’avais déjà été séduite par sa voix, à la fois douce et profonde qui m'avait subjuguée. J’ai rougi et très timide, je me suis fermée comme une huître. J’avais mis, je me souviens, une robe short bleu marine à fleurs. Aujourd’hui, j’ai aussi une robe bleu marine très habillée qui m’arrive aux genoux avec un foulard à pois oranges pour l’égayer.
L’adolescente fragile, timide, mal dans sa peau est devenue une vieille bourgeoise, catégorie que je haïssais à l’époque où je me plaisais à chanter la chanson de Brel "les bourgeois, c'est comme les cochons, plus ca devient vieux, plus ca devient bête". Suis-je plus bête qu'avant ?
Mon Jeff me manque, je me promets de revenir ici avec lui. Je pense aussi à ce café où mon père passait tout son temps à jouer à la bellotte et boire des bières. De nombreuses fois, ma mère a été obligée de venir l’y chercher, quand il était trop ivre pour rentrer seul. L’émotion me prend à la gorge et les larmes me montent aux yeux. Je paye rapidement mon café et je sors de la brasserie. Je vais être dans un bel état pour la restitution du bilan de compétences.
J’ai encore une petite demi-heure pour continuer ma promenade souvenir. Je prends le boulevard des coteaux, passe devant la boulangerie où petite, en rentrant de l'école, j’achetais des cocos boer, des roudoudous et des rouleaux de réglisse. Plus tard, j’allais y chercher le pain.
Je sais où je vais, rien n’a beaucoup changé ; je reconnais tout. Au fond d'un parking, très en retrait de la route, la chapelle Sainte Thérèse surgit soudain. J'y ai fait ma communion, nous nous y sommes mariés et nos enfants y ont été baptisés. Elle n’avait pas de cloches avant, ni de fresque sur le devant, le mur était tout blanc. C’est bien la même, toujours aussi belle dans sa simplicité. Je ne suis plus croyante, mais je ne pouvais pas revenir à Rueil sans passer voir cette chapelle.
Les larmes me montent aux yeux. Je pense à ce bel après-midi de juin 1973 où, sur ce Parvis, avec Jeff, nous sortions souriants de l'église, entourés de nos familles et amis. Nous avions même réussi à faire rentrer mon père dans une église
38 ans de mariage dans un mois déjà. Il est temps de rebrousser chemin et de me diriger vers l’entreprise dans ce Rueil 2000. Je passe sous le pont de chemin de fer et remonte l’avenue Albert 1er (entre l'immeuble ancien et le nouveau sur la photo ci-dessous) qui se termine en cul-de-sac.
Notre maison était la dernière à gauche dans l'avenue se terminant en impasse. Elle a disparu, ayant été détruite avec une bonne partie de la rue.
Notre petite maison que nous louons et où nous avons vécu de 1973 à 198. Nous y avons eu nos deux enfants
J’emprunte la rue des deux gares jusqu’à l’entreprise où je me rends. À la place, il y avait un vaste terrain vague où nous jouions enfants et où je cueillais des boutons d’or. L'immeuble, avenue de chatou, où mes parents avaient un deux pièces, au cinquième étage sans ascenseur, a disparu ainsi que la tour Corosa où je travaillais qui a été détruite. L'entreprise où je vais se trouve presque au même endroit.
Je suis toute émue. Je reconnais sur le parvis de l’entreprise, au milieu des fumeurs, la salariée avec qui j’ai fait ce bilan. Elle m’accueille avec un grand sourire et me demande si j’ai trouvé facilement. Comment pourrais-je me perdre ici, j'y ai laissé une partie de moi-même. Je m'y sens chez moi.
Après m’être penchée sur mon passé, je vais tenter de me concentrer de nouveau et penser à l'avenir professionnel de cette jeune femme que j'aime bien... Le mien étant derrière moi. Dans un an, je prendrai une retraite bien méritée.