Vous voulez un mouchoir / Texte de Brigitte Lecuyer
Publié le 19 Décembre 2009
Il y a quelques années, j’ai pondu ce papier, j’ai même commis une bourde en voulant faire drôle, je l’avais
envoyé à une vague connaissance, laquelle venait de perdre sa mère, ce que j’ignorais. Elle a cru que je me moquais d’elle, enfin elle m’a carrément prise pour une demeurée et depuis me regarde
de travers.
Aujourd’hui, je dirai que ce texte est de circonstance et bien de saison, à défaut d’être de bon gout, mais j’assume. Au vu de la conjoncture actuelle, la pandémie et tout le tintouin qu’on nous
assène à longueur d’informations, je me suis posé la question, devais-je encore partager ces mots avec vous ? Mais puisque l’humour n’a jamais tué personne, lui, et qu’il nous aide à
vivre mieux et vieux, je ne résiste plus, je vous le livre en l’état, ponctué d’une virgule ou deux supplémentaires, voici :
On m’a toujours dit qu’il était déconseillé d’offrir des mouchoirs : que ça risquerait de faire pleurer celui qui les recevait ? Comme je n’ai pas l’âme d’un bourreau, je m’abstiens donc d’un tel cadeau. Sachez seulement que le mot bourreau n’existe pas au féminin, j’ai cherché dans mon dico, je n’ai trouvé que bourrelet, derrière bourreau, lequel bizarrement est du genre masculin. A vrai dire, je pourrai juste être bourrelée de remord d’oser écrire pareille ineptie…mais je pense seulement vous faire pleurer …de rire.
En attendant revenons à nos moutons, si l’homme ne pleure, pas, il se mouche, et ça passe rarement inaperçu. Entendez-vous dans nos campagnes…mugir ces féroces soldats...et bien ils se mouchent !
Je dois vous avouer, que je ne me mouche guère. Ou alors juste une petite fois sous ma douche, histoire de ramoner un peu les conduits et de laisser l’oxygène pénétrer les tréfonds de mes poumons. Evidemment sauf, quand j’ai attrapé un rhube de cerveau. Là il me faut la boite de kleenex, les boites devrai-je dire, et à portée de mains s’il vous plait. Je pleure, inonde vêtements, oreillers, draps, me liquéfie en éternuements exténuants. Je me noie dans un océan de larmes, et tandis que mes pauvres mirettes brûlent de milles piques acérées mon nez enfle se gonfle comme une montgolfière prête à décoller. Le voilà qui crie, supplie que cesse enfin cette affaire là. Il voudrait retrouver sa taille d’avant, se faire discret si possible, enfin plus discret qu’un nez au milieu de la figure. Il rêve de dégouliner en paix sous des cieux toujours bleus. Mais il faut se rendre à l’évidence, il a l’air d’un lumignon et pourrait servir de phare par gros temps aux naufragés d’hiver.
Si l’envie me prenait de regarder la tête dans mon miroir, mon beau miroir, je ne verrai qu’une chose bouffie, navrante à pleurer et là, oui vraiment, je serai tentée de m’en aller quérir cet
accessoire qu’on appelle communément mouchoir et qu’utilise l’homme, du moins le mien.
Car si je peux dans des cas rares, y voir certains avantages, nettoyer mes lunettes par exemple, je n’aime que les kleenex et aucun mouchoir indigne de ce nom ne viendra jamais squatter mes
tiroirs à moi. Je n’apprécie que les kleenex, même si ce n’est pas écolo, je les aime à la chlorophylle, à la menthe fraîche, celle qui dégage les voies aériennes supérieures comme on dit
en himalayen, j’aime les duveteux, les extra-doux, les minis, les paquets de dix, les Pocket, les boites carrées, les rectangulaires, les pyramidales, (si si, ça existe) les en couleurs, ceux qui
vous feraient pleurer de bonheur rien qu’à les voir et les humer.
Je vis dans mon siècle, j’aime pouvoir utiliser cette astucieuse invention et je bénis celui qui a pensé à nous les femmes et à nos appendices délicats. L’inventeur de cette feuille, petite,
douce, fragile, qui sait si bien recueillir nos chagrins, essuyer les débordements de rimmel et tarir nos larmes de rire.
Le rituel débute le matin lorsque j’en suis à déjeuner et que je profite de la cuisine pour savourer
mon thé. L’homme débarque hirsute engoncé dans sa robe de chambre courtelle lie de vin. Il dépose un chaste baiser sur mes lèvres à la confiture, et là soudainement il est pris d’une envie
irrépressible : il sort de sa poche l’accessoire, déplie ce carré à carreaux qu’utilisait déjà son grand-père, un truc monstrueux qui pourrait servir de nappe pour un pique-nique dominical,
c’est dire !
Entre deux bouchées de biscottes, j’essaie de le persuader d’aller voir ailleurs si j’y suis, mais n’ayant pas encore l’esprit affûté, j’objecte trop mollement. Parfois, l’homme daigne se
déplacer dans la pièce à coté, et là dans d’augustes élans, il souffle, s’époumone tel un phoque sur sa banquise pour tenter d’extirper miasmes, microbes et crobes entiers qui s’obstineraient à
adhèrer aux parois de son valeureux tarin.
Le bruit alors est tel qu’il fait sursauter mes minettes, lesquelles s’imaginent un tremblement de terre et détalent horrifiées. Le bruit s’enfle et couvre les infos…. et voilà que je rate
la météo. Ce ne sont que « trompettages » sonores (ne cherchez pas dans le dico) et tonitruants, concerto ou tard, allant du fa dièse au sol mineur, et quand ce n’est pas suffisant, que
la mission n’est pas correctement remplie, l’homo erectus risque un doigt, mais rarement deux. Et c’est dans cette tenue ô combien virile, qu’il part en expédition à l’assaut de ses conduits
intimes. Il triture, malaxe, fouille au pif, jusqu’à en extraire ce qui doit l’être absolument.
Et quand c’en fini tout ce ramdam à réveiller les morts, il faut, mais le faut-il vraiment, il contemple, s’extasie du résultat de cette savante tirebouchonnade (mot crée pour la circonstance) sauf que je n’ai plus de mots pour décrire l’indicible.
Pauvre de moi consternée, j’évite de regarder dans sa direction, je pense à d’autres choses, aux malheurs de
Sophie, de Régine ou de Florence, mes amies bien aimées, au temps qu’il fait dehors ou qu’il fera, à ce que je vais bien pouvoir écrire a l’atelier d’écriture, enfin à n’importe quoi….mais pas à
ça. Alors, las, à bout de souffle, le voilà qui considère, quoi au juste dans la lumière, je vous le demande !
Regardez bien comment ils font. Vous verrez que je n’exagère en rien, que je n’invente pas, que ce n’est pas une spécialité incongrue du mien, qu’il n’est pas un homme des bois ou si peu, mais un
être apparemment civilisé, un homme, seulement un homme.
Alors, satisfait de lui, soulagé, les muqueuses en jachère et le front conquérant, il remettra l’objet du délit, en boule au fond d’une poche. Plus tard, dans la journée, alors qu’il sera habillé
de frais et rasé, il enfournera un spécimen à carreaux propre, lequel ira rejoindre le couteau suisse, la clé USB, ainsi qu’une vieille note de frais et des piécettes joyeuses et….. L’homme
vaquera à ses occupations. Il ira vivre sa vie d’homme. Comme chaque matin, il s’en ira au hasard des carrefours, tripatouiller le ventre d’armoires électriques, lesquelles régissent nos feux de
signalisation.
Le soir venu, il se dépouillera de ses oripeaux. Il enfilera une tenue adéquate, genre jogging mou qui n’a jamais vu la campagne qu’en catalogue, et il ira jeter ses frusques dans le panier à linge sale. S’il y pense.
Et viendra le jour du lavage ! On sait par expérience, enfin on se doute que les poches de monsieur sont rarement vides. Alors on retourne, on enlève tout ce qu’on voit, et on devine qu’on va se retrouver nez à nez avec ce truc immonde et là……bon, j’ai pitié de vous, pauvre lecteur, je vous épargne la suite…je m’en voudrais de perturber votre digestion.
Parfois, c’est le gros lot, on touche deux mouchoirs pour le prix d’un, un dans chaque poche, faudrait pas qu’il
tombe en rade, le gars. On peut aussi en récupérer dans les vestes, anorak, coupe-vent et certains vont même jusqu’à se planquer sous les oreillers. Vous imaginez, une panne, manquerait plus
qu’il vous pique vos chers kleenex, ou qu’il se mouche ailleurs…que dans des choses prévues à cet effet.
Mais il y a pire, le pire, c’est de retrouver ladite chose tirebouchonnée, lavée avec le pantalon, ladite chose compacte, qu’on doit déployer et forcément relaver dans une lessive à part,
ladite chose qui, sans tambour ni trompette, aura frayé avec la clé USB et la note de frais illisible à jamais. Si la clé USB par miracle, en réchappe, la note de frais, elle ne sera plus si
fraiche. Elle aura fait exprès de se dépiauter rien que pour vous embêter. Elle se sera dissoute en bouloches adhérentes, ne voulant plus lâcher ce gentil pantalon de velours (que vous avez
oublié de laver à l’envers) ou ce polo foncé d’une marque crocodilienne que dans un élan de grande générosité, vous lui aviez offert à Noël.
Dire qu’il faut supporter ça sans moufeter, ça et bien d’autres trucs peu ragoûtants des hommes, nos chers hommes à nous.
A nous, plus tard, les montagnes russes de repassage. On adore tellement ça, repasser ses mouchoirs, que c’est la première chose qu’on donne à repasser à notre fille quand la mignonnette qui ne sait pas encore ce que c’est que d’être une ménagère modèle, manifeste le désir enfantin de vous aider ! Après ça se complique, elle n’y tient pas plus que ça en grandissant, même qu’elle serait plutôt du genre à vous rapporter son linge pour étoffer la pile. Alors même indisposée, dégoûtée, on fait son devoir, on les dispose en tas net, au carré avec les serviettes et les torchons qui eux en ont déjà vu des vertes et des pas mûres. Tout ce petit monde rentrera sans faire d’histoire, dans l’armoire normande, prêt à servir et à resservir.
Mais bon, faut bien avouer que ça peut être utile parfois. Imaginez que vous ayez un gros, très gros chagrin, il vous en tendrait un de ces fameux mouchoirs que vous avez dédaignés et voués aux
pires gémonies, juste pour vous consoler, essuyer vos mirettes, un tout propre évidemment, un qui fleurerait bon la Soupline senteur des prés et le repassage du lundi !
Et quand c’est offert de si bon cœur, ça ne se refuse pas, un mouchoir !
Brigitte Lécuyer
Or cette invention, o combien indispensable à tout nez sensé, il se trouve que nombre d’hommes rechignent à l’utiliser, à commencer par le mien.