"Plus voir la Mer" de Brigitte Lecuyer

Publié le 13 Mars 2010

Au matin, la mer, sale, étale s’étalait partout, à perte de vue, de vie, de mort. Elle avait repris ses droits, ses terres, anéanti ces stupides dunes qu’ils appelaient digue, digue digue dondaine, elle avait  la haine chevillée au port !

 

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Partout ils s’activaient, leurs camions allaient de long en large en son large, des lucioles folles vrombissaient au dessus de ses vagues, elle n’avait pas de vague à l’âme, juste une immense, intense, une infinie colère contre ses rampants vers de terre qui écumaient ses côtes et vidaient ses fonds de ses habitants.


Hier encore, Magali était venue la voir, la contempler disait-elle. C’est pour cette raison  qu’elle avait choisi de s’installer ici pour y finir ses jours avec Henri. Mais Henri n’avait pas su attendre, il était déjà parti, un accident vasculaire cérébral l’avait emporté, et chaque matin Magali s’en souvenait avec douleur en regardant l’oreiller vide à son côté. Sa photo trônait près du téléphone qui ne sonnait plus guère. Les enfants ne venaient l’envahir qu’aux grandes vacances, ils jugeaient que c’était trop loin pour eux, depuis Strasbourg.

Elle, elle aimait tant la mer qu’elle venait la saluer chaque jour, même au pire de  ses démences, elle s’habillait juste en conséquence. Et puis le médecin lui avait prescrit de marcher pour se vider la tête. Comme si son cerveau ne marchait pas en même temps que ses jambes usées. Alors, elle allait alerte saluer cette compagne facétieuse qui savait aussi lui offrir tant de douceurs. Elle versait quelques larmes devant un lever de soleil plus somptueux que la veille. Elle se saoulait de vent, de sable et d’iode.

Mais ce matin gris, la météo avait ordonné de ne pas sortir, et c’est la mort dans l’âme qu’elle avait vidé le jardin des tous ces accessoires, sauf la balançoire qui était arrimée à des plots de béton, et qui était sensée ne pas s’envoler. Elle avait bouclé les volets, mis en lieu sur ses jardinières, enlevé les pinces à linge et même le fil de nylon qui risquait de se briser net. Elle était prête.


La maison commençait déjà à tanguer dangereusement, les murs à danser, à craquer, les tuiles à émettre des sons sinistres et inquiétants. Elle avait tenté de couvrir ces bruits intenables, et plus le soir s’enlisait, et plus elle se disait que la nuit serait terrible, mais que ça passerait, comme le reste.  Elle avait éteint la télévision dont le programme était toujours aussi affligeant. Elle avait mis Mozart à fonds et même Mozart ce géant, ne s’en sortait pas indemne, contre les rugissements affolants du vent. Tant de vacarme, elle n’avait pas peur au sens propre du terme, elle était juste inquiète des dégâts, de gérer seule les conséquences, elle se demandait si les assurances….. Sa pension était si modeste, elle ne voulait rien demander aux enfants.


Bon et puis, elle n’en était pas à sa première tempête,  et même si rien ne serait à nouveau pareil, si Henri n’était plus là pour l’étouffer entre ses bras, pour calmer ses angoisses, quand la peur s’accrochait et ne voulait pas céder la place,  elle savait qu’elle n’allait pas pouvoir s’endormir si sereine.

Alors, lasse de trembler et de se retourner entre ses couvertures,  elle s’était résolue à oublier, deux somnifères avaient suffi. Elle s’était dit qu’elle se réveillerait, la tête un peu lourde peut être, la bouche un peu pâteuse aussi, mais que tout, tout serait bel et bien fini à l’aube, que le ciel serait de nouveau bleu, la mer calmée et les vagues assagies.      


La mer ne l’avait pas entendu de cette oreille, elle était venue jusqu’à elle, la mer l’avait cueillie dans son lit, et elle Magali, n’avait eu le temps de se rendre compte de rien, son oreiller inondé de larmes trop salées, l’avait étouffée et fait disparaître dans le néant.


Elle voulait juste vivre ses derniers beaux jours près de ses flancs blancs, y mourir aussi sans doute, un jour, mais pas comme ça, non, pas comme ça !

 

                                                                            Brigitte Lécuyer  

Rédigé par eglantine

Publié dans #Brigitte Lécuyer

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E
Bonjour martine. C'est bien écrit et prenant, mais qui est Brigitte Lécuyer . Bisous
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B
<br /> J'aime parcourir "le flot des mots" en compagnie de B.L. tout comme tes souvenirs d'enfance qu'il me tarde de découvrir, page après page. Belle écriture, sensible que j'aime découvrir miss<br /> Eglantine. Bon dimanche printanier<br /> <br /> <br />
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A
<br /> J'aime la montagne, ses recoins ses points de vue secrets, l'effort qu'elle exhorte de nous.<br /> Je te souhaite du soleil par dessus le marché.<br /> <br /> <br />
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<br /> Mieux vaut voir la montagne, hein ? ;-)<br /> Allez, bonne vacances et profites-en bien !<br /> Bisoux<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Magnifique photo!!!<br /> bonnes vacances!!!<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Les humains s'installent là où ils ne devraient pas et ils se croient l'animal le plus intelligent!<br /> <br /> <br />
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A
<br /> J'ai bien connu ces affres quand habitant la Floride, ma maison avait été entourée d'eau et le toit avait menacé de s'envoler<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Ouah ! des frissons à lire ces mots<br /> La solitude , isoler le bruit de la tempête en prenant des somnifères, s'endormir malgré soi et ne pas se réveiller ..ce peut-être si vrai !<br /> La couleur de la mer , si noire est glaciale,à la voir on se sent déjà prisonnière de ses flots !<br /> Dur ce texte ..bisous<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Quel récit terrible...J'en suis tout émue.<br /> Comme du fait que la mort parfois frappe sans prévenir.<br /> <br /> <br />
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F
<br /> un récit vraiment poignant et on dirait qu'il a été écrit exprès pour la dernière tempête ou alors c'est une drôle de coincidence<br /> je n'ai pas souvent le temps de lire cette auteure mais elle écrit très bien, vraiment on rentre dans son récit, on sent, on ressent et on frisonne aussi<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Brigitte a écrit ce texte après la tempête.<br /> <br /> <br /> <br />
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<br /> et voilà....très bonne semaine<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Très émouvant et si triste<br /> bises<br /> françoise<br /> <br /> <br />
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K
<br /> la mer, pourtant elle est tellement belle quand elle est en furie.<br /> merci de ta visite<br /> Bô Eglantine<br /> <br /> <br />
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A
<br /> moi j'adore le petit son des vague le soir qui murmure a mon oreille mmmhhh en avoir la chere de poule<br /> bisous<br /> <br /> <br />
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N
<br /> Bonjour Eglantine, j'ai une tendresse particulière pour ce blog là. Je m'y sens mieux chez-moi .<br /> Bisous<br /> Nettoue<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Quelle écrivaine !!! C'est si bien écrit...<br /> Bonne Journée Églantine<br /> Bises, Laurent<br /> <br /> <br />
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C
<br /> C'est terrible, tout perdre même la vie mais le plus pénible c'est d'être impuissant face à la mer déchaînée<br /> <br /> Encore un grand monsieur qui s'en va mais il nous laisse des textes qu'on fredonnera toujours<br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br />
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P
<br /> oui c'est comme la furia bon dim<br /> <br /> <br />
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D
<br /> superbe texte, mais quelle tristesse, partir ainsi,il faut se dire quelle a rejoint celui quelle aime et quelle n'aurait sans doute jamais voulu quitter.Aujourd'hui j'ai publié des photos de la<br /> mer, mais celle qu'on aime.<br /> <br /> <br />
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<br /> Très émouvant, ce texte ... Surtout en ce jour si triste.<br /> Bon dimanche ! BisouX<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Dur mais réalité aussi. Merci !! Bises !<br /> <br /> <br />
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S
<br /> La mer est souvent cruelle avec ceux qui l'aime.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> juste une petite bise pour te souhaiter un bon dimanche<br /> et merci encore d'être passée voir Kinzy<br /> tu es un amour<br /> gros bisous créoles<br /> <br /> <br />
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A
<br /> une bien triste histoire,bien écrite par Brigitte!<br /> <br /> oui,j'ai appris la mort de Jean Ferrat en allumant mon ordi en début d'après midi.je suis triste aussi car je l'aimais beaucoup et ses chansons aussi....en ai-je fredonné!<br /> "Pourtant que la montagne est belle...<br /> comment peut-on s'imaginer<br /> en voyant un vol d'hirondelle<br /> que l'automne vient d'arriver..."<br /> <br /> "Que serais-je sans toi<br /> qui vint à ma rencontre<br /> que serais-je sans toi<br /> qu'un coeur au bois dormant..."<br /> <br /> "ils étaient vingt et cent,il étaient des milliers<br /> nus et maigres ,tremblants dans ces wagons plombés<br /> qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants<br /> ils étaient des milliers,ils étaient vingt et cent..."<br /> <br /> et beaucoup d'autres.on ne pourra l'oublier ,il vivra toujours à travers ses chansons.<br /> <br /> chez toi,à cette heure,ce sera bonne nuit...bisous.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> OUI C'EST TRISTE....ceux qui veulent habiter pres de la mer savent depuis longtemps a quoi ils s'exposent ....mais c'est nous indirectement qui payeront les pots cassès<br /> <br /> <br />
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R
<br /> un poignant récit.<br /> une atroce réalité. la vie n'est pas toujours tendre et la mer dans sa folie n'a plus fait de différence.<br /> bonne soirée<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Je viens de comprendre ta tristesse et te rejoins dans celle-ci. Tu peux toujours venir en parler, j'aimais beaucoup Jean FERRAT. Bisou<br /> Bérangère<br /> <br /> <br />
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<br /> non...ne pas mourir ainsi.....et adieu J Ferrat...vais revenir relire ...bonne soirée Martine<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Qu'est-ce qui fait que tu es triste, si cela n'est pas indiscret. Tu peux passer quand tu veux sur mon blog, je te répondrais pour t'aider à un moins triste. Moi, j'ai eu quelques mois très<br /> difficile suite à une rupture sentimentale, je reprends le dessus petit à petit mais je suis toujours en arrêt maladie. Bon courage et bisous à toi. Bonne soirée<br /> Bérangère<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Je suis triste tout simplement parce que Jean-Ferrat est mort. Cela peut paraitre stupide mais je l'aimais beaucoup.<br /> <br /> <br />
C
<br /> Elle n'est pas morte, n'est-ce pas ?<br /> Dis moi pourquoi es tu triste ?<br /> Moi aussi je l'y suis. Je n'ai pas pu<br /> aller à la réunion des mots migrateurs.<br /> J'étais morte de fatigue. vraiment morte.<br /> Mais pas pour de vrai. Lol.<br /> Je te fais un bisou consolateur.<br /> clem<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Je suis triste parce que Ferrat est mort et je l'aimais tant<br /> <br /> <br />
M
<br /> je reviendrai lire ce texte, je pensais à ton commentaire et me disais que peut-être tu parlais ce soir et ici de Jean Ferrat<br /> Je suis triste aussi et je regardais tous les titres de ses chansons,quel poète si grand nous perdons, tant de belles paroles d'amour il savait nous chanter ... je partage avec toi et je reviendrai<br /> relire ici ce texte pour lequel je dois m'imprégner de l'image<br /> Bisous<br /> <br /> <br />
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