Vacances en vacance
Publié le 16 Mai 2022
Dans la maison silencieuse, le chant du coq réveille Julien. Il caresse la peau veloutée du bras d’Ariane tout en évitant de lui prendre sa main plâtrée à la suite d’une fracture du scaphoïde un des os du carpe. Il lui murmure à l’oreille « bonjour mon cœur,» et quelques mots d’amour. Sa secrète épouse encore endormie, aussi muette qu’une carpe, lui adresse un joli sourire timide. Un début enchanteur pour cette journée de vacances d’été à la campagne. Julien se lève, ouvre la fenêtre et les volets. L’air pur chaud éveille ses sens. Au moment où il se rend compte que son bonheur d’avoir quitté la ville quelques temps pour cet havre de paix colmate les lézardes de son cœur, son regard est attiré par un long lézard vert qui court sur le vieux mur de pierres. Ce serait une erreur de penser qu’à Paris, il n’y a pas de lézard, il y en a de nombreux chaque jour qu’il doit affronter, ce ne sont pas ces charmants petits reptiles mais des problèmes qu’il doit résoudre. Un oiseau chante, c’est une alouette des champs qui s’envole en criant mécontente d’avoir été dérangée. Julien se met à chantonner une comptine de son enfance « alouette, gentille alouette, alouette je te plumerai. Un rouge-gorge picore sur la terrasse quelques miettes de pain du dîner de la veille : Une succulente côte de bœuf grillée au barbecue accompagnée de pommes dauphines. Le fermier voisin passe en bicyclette sur le chemin. Il s’arrête quelques instants le temps de le saluer d’un geste de la main et de lui adresser son sempiternel « Bonjour comment ça va, il fait beau aujourd’hui ». Julien lui sourit et lui souhaite une bonne journée. Ces joies campagnardes qu’Ariane qualifie de petits riens lui font chaud au cœur et lui paraissent plus profondes et sincères que les banalités superficielles de la faune du tout Paris où il y a plus de loups, de requins que de gentils dauphins. À la campagne où l’on croit que rien ne va se passer, tout est pour lui matière à étonnement, tout peut arriver. Par exemple, vous imaginez que le vent, cet air, est incolore. Ici il est coloré par ce qu’il transporte. Il jaunit après les moissons quand il soulève les brins de foin coupés, roussit à l’automne quand les feuilles virevoltent et dansent enchantant la forêt. Il peut même être de toutes les autres couleurs pour le poète qu’est Julien.
Les nuits claires, Julien aime observer les étoiles et la lune à la loupe avec le grand télescope qu’il installe au jardin. Il rêve d’une vie ailleurs en observant les planètes. Souvent il s’imagine un extra-terrestre sur terre tant les autres lui semblent si différents. Adulte, Il retrouve ses sensations de gamin avec ses frères et sœurs. Il était l’aîné de la famille, « le dauphin » comme le surnommait son père, notaire, espérant qu’il reprenne un jour le flambeau de l’étude familiale. .
Ariane s’approche de lui discrètement et le sort de ses rêveries en lui assénant brutalement :
- Vite, viens prendre ton petit déjeuner. J'aimerais qu'ensuite nous rentrions à Paris, la greffe de la campagne ne prend pas, je m’ennuie ».
C’est un choc pour Julien qui impulsivement lui répond
- oh non, je suis si bien ici loin de la ville et de mon Tribunal.
Il regrette aussitôt avoir exprimé cette pensée égoïste et, pour éviter une brouille conjugale, il s’en excuse. Il a toujours fui les conflits. Julien est, dans l’intimité, un taiseux qui bout à l’intérieur même s’il sait se montrer éloquent en Société. Il aurait tant aimé cet après-midi, au soleil de Provence, lire dans son transat avec pour fond sonore le prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy.
Il va mettre ses vacances en vacance. Ils rentreront à Paris, il reprendra ses fonctions de Directeur du Greffe du Tribunal. Il s’y ennuiera à mourir, mais son Ariane adorée vivra avec bonheur sa vie parisienne. La sentir heureuse le comble de joie.
Martine Martin / Pour le défi du lundi du défi 265 des croqueurs de mots animé par Josette (Thème : écrire une histoire en utilisant les mots carpe, faune, greffe au masculin et féminin et d'intégrer Dauphin et dauphine, lézard et lézarde, loup et loupe)