Pour répondre au défi d'écriture de
Miletune de la seconde quinzaine d'août une nouvelle ci-dessous :
L'absente
Marie-Xavière regarde la couverture du livre offert : un ours brun en peluche sur une table en bois. Pauvre ours seul
dans cette pièce triste, il doit se sentir abandonné se dit elle. Le titre attire alors son attention « l’absente ». Peut-être un doudou oublié ou perdu qui recherche son propriétaire. Elle s’apprête à sortir du
métro. Elle dépose le livre sur la banquette vide en face d’elle et s’apprête à le laisser la puis se ravise. Elle met le livre dans son sac à main et le referme. Sans doute elle ne le lira
pas, c'est un livre pour la jeunesse mais elle est incapable d’abandonner un livre sans savoir entre quelles mains il va tomber.
Parait-elle si jeune pour qu'on le lui ait donné à lire. C’est vrai : elle est restée une enfant au fond d’elle-même et elle a
toujours besoin de son doudou pour dormir. Elle sait qu'à 40 ans c’est ridicule mais elle ne peut s’en empêcher, c’est moins dangereux qu’un somnifère. Elle souhaite néanmoins pouvoir un jour
devenir une adulte, rencontrer un homme et avoir des enfants mais pour le moment elle en est incapable, pas assez mature pour prendre des responsabilités et s’engager. Beaucoup de ses amis lui
conseillent de faire une psychothérapie mais à quoi bon, tant qu’elle n’aura pas retrouvé celle qui lui manque depuis toujours elle n’y parviendra pas. Elle a toutes les chances de mourir
célibataire car elle est une enfant adoptée par un couple dont elle a fait le bonheur et qui lui a beaucoup donné d’affection en échange. Mais elle veut retrouver sa vraie maman. Elle a
entrepris des recherches qui n’ont rien donné puisque sa mère a accouché sous X. Qui est-elle ? Pourquoi l’a-t-elle été abandonnée chez les sœurs ? Que ressent-on quand on abandonne son
enfant ? Tant qu’elle ne pourra répondre à toutes ses questions, elle n’y parviendra pas. Elle est en perpétuelle quête de son identité et n’utilise jamais son deuxième prénom Xavière
qui lui a été donné à l’orphelinat. Elle se fait appeler Marie et signe tous ses courriers par Marie X Bertier, le nom de ses parents adoptifs. Elle ne peut retirer le X très important
pour elle aujourd'hui car c'est la seule chose qui la relie à l'absente. C'est son vrai nom de famille.
« L’absente » : elle vient de se rendre compte que c'est justement le titre de ce livre qu’une
inconnue lui a offert dans le métro avant de quitter la rame en lui disant qu’elle avait terminé de le lire et que ce livre l’avait beaucoup touchée. Marie-Xavière a dévisagé l’inconnue étonnée
par tant de bienveillance. Celle-ci l’a regardé en souriant. Puis elle a ajouté qu’elle était certaine que ce livre lui plairait aussi et qu’elle y trouverait peut être des réponses aux questions
existentielles que chacun peut se poser dans la vie.
Elle a bien fait de le conserver. Peut être le lira t’elle en fin de compte se dit-elle.
Rentrée dans son petit appartement parisien, elle sort le livre de son sac à main et le dépose sous la table du salon avec les
livres et revues à lire quand elle aura un moment et que bien souvent elle oublie là.
Quelques semaines plus tard un dimanche d’août, elle reçoit ses parents à déjeuner.
Pendant l’apéritif, Sa mère adoptive se saisit du livre qui est à portée de main sur l’étagère, lit au dos le sujet du
livre
Une poignante histoire d’amour filial au-delà de l’absence Claire Mazard nous offre un roman très fort
qui traite d’un sujet encore tabou : l’accouchement sous X.
et lui demande en la regardant :
-
« Marie, puis-je te l’emprunter ». ?
-
«Bien sûr maman, je n’ai pas encore eu le temps
de le lire, tu me diras ce que tu en penses répond t’elle».
Elle n’ose pas dire à sa mère adoptive que c’est le cadeau d’une inconnue. En effet sa mère adoptive lui répétait souvent
quand elle était petite qu’on ne parlait pas à des inconnus. Même qu’un jour elle lui avait rétorqué : « mais pourtant, de mère inconnue je suis issue.
Le lendemain soir en rentrant du travail elle ouvre sa boîte aux lettres dans l’entrée de son immeuble et trouve une enveloppe
où il est écrit « Pour Marie ». Elle reconnaît l’écriture de sa mère. Pourquoi lui écrit-elle alors qu’elles se sont vues hier et que d’habitude elle appelle. Elle prend l’ascenseur,
dépose son sac sur le porte manteau et s’installe dans son fauteuil :
Elle ouvre l’enveloppe avec impatience une photo tombe, elle la regarde. Sur un grand lit tout blanc une femme et un bébé
dorment.
Elle est surprise par la grande distance qu’il y a entre la mère et l’enfant. Quand elle sera maman, si elle l’est un jour,
elle dormira avec son bébé serrée contre elle comme elle serre son doudou mais peut être que ce n’est pas bon et qu'elle pourrait risquer d’étouffer son enfant.
Elle regarde la photo avec plus d’attention. C’est étrange comme la femme lui ressemble et elle se rend compte soudain qu’elle
ressemble également à l’inconnue du métro.
Avec la photo une lettre avec une belle écriture ronde inconnue quelle s’empresse de lire :
Ma chérie,
Je suis ta maman, j’ai été obligé de t’abandonner car tu es née d’une courte liaison, un amour passionné avec un inconnu dénommé
Pierre rencontré au cinéma et qui est sorti de ma vie aussi vite qu’il y est rentré dès qu’il a su que j’étais enceinte. Je ne pouvais te garder, j’étais sans travail, je vivais chez mes
parents et tu aurais toujours été pour eux l’enfant du péché. Ils m’auraient mis à la porte avec toi et comment aurais tu pu vivre. Je voulais le meilleur pour toi et pour cela il te fallait
une bonne famille. Je t’aimais et je t’aime encore 40 ans après. L’abandon a été douloureux. Je t’ai serré fort dans mes bras, embrassé, je t’ai dit adieu. Je t’ai posé délicatement dans mon lit
en demandant aux sœurs de te retirer à moi pendant mon sommeil pour éviter des cris inutiles. Je souffre aujourd’hui encore de cet abandon et je le regrette. Chaque jour tu m’as manquée. Dans la
rue quand je rencontrais une petite fille, puis une adolescente, puis une femme je me disais qu’elle pourrait être ma fille. J’ai su que tu avais fait une recherche pour me retrouver et que je
pouvais lever l’anonymat. J’ai réussi à avoir ton adresse, je t’ai suivie. Je sais maintenant à quoi tu ressemble mais cela ne me suffit pas, je souhaiterais pouvoir te serrer dans mes bras si tu
le désires. Je me suis dit qu’il fallait que je lève l’anonymat pour que tu saches aussi mais veux tu simplement savoir qui est ta mère et qui est ton père (droit légitime) et tu le
sais maintenant ou vraiment faire ma connaissance et rattraper le temps perdu. J’ai donc décidé de te remettre cette photo, tu sais maintenant que je suis l’inconnue du métro qui t’a offert ce
livre qui raconte en fait une histoire semblable à la nôtre. Tu sais à quoi je ressemble et d’où tu viens. Si cela te suffit j’en souffrirais mais je le comprendrais. Si tu souhaites mieux
me connaître fais-moi signe, ci-dessous mes coordonnées.
Ta maman Eugénie
Des larmes coulent sur son visage au fur et à mesure de sa lecture. Elle repose la lettre et la photo sur la table, sort son
téléphone portable et appelle aussitôt sa mère adoptive.
Celle-ci répond aussitôt en lui disant :
-
«bonjour Marie, tu as
lu….. ».
-
«Oui l'interrompt-elle en pleurant, merci maman
je t’aime, c’est une belle preuve d’amour que tu m’as donnée en me remettant cette lettre et cette photo. Je t'embrasse. Laisse moi me remettre, je te
rappelle ».
Contacterait-elle sa maman de sang, certainement mais elle ne se sent pas encore tout à fait prête, comment l’appellerait
t’elle, pourrait-elle la tutoyer comme elle. Elle ne le sait pas mais elle sait maintenant : Elle a deux mères qui l’aiment. Elle va pouvoir enfin remplacer X par Xavière
après Marie car elle sait maintenant qu'elle n'est plus née sous X. Ayant une identité, elle va enfin devenir adulte.
Églantine / Août 2012