Natacha

Publié le 9 Janvier 2017

Photo PIXABAY

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Journal de Natacha / Moscou Janvier 1964

Comme chaque matin en me réveillant, je tire les rideaux. La Moskova gelée est recouverte d’un épais manteau de neige. A travers la brume, le soleil essaye de percer pour réchauffer la ville. C’est une belle journée qui débute. Je ne me doute pas à cet instant qu’elle marquera à jamais ma vie.

Après avoir avalé rapidement quelques blinis tartinés de fromage blanc et du café bien chaud. Je sors de chez moi et me dirige vers l’hôtel pour venir chercher mon client du jour, Monsieur SILLY. C’est un français ce qui est exceptionnel. Ils sont rares les touristes de l’Europe de l’ouest venant en URSS en pleine guerre froide.  Dans le hall de l’hôtel, je l’attends comme convenu.

Soudain, un homme brun mince d’une trentaine d’années descend  prestement avec élégance  les dernières marches du grand escalier.  Il a les cheveux bruns lissés en arrière avec de la brillantine Il porte un manteau en daim brun au col de fourrure. Il s’arrête brusquement, jette un bref regard circulaire dans le hall, se remet en marche et se dirige vers moi.

  • Bonjour  François Silly, Vous êtes Natacha ?
  • Oui Monsieur enchantée de vous accompagner ?
  • Excusez-moi de vous avoir posé cette question mais je suis surpris, agréablement, vous êtes rousse et j’imaginais les russes blondes : stupide idée reçue.
  • Que voulez-vous visiter Monsieur ?
  • Je ne sais pas, c'est vous qui décidez, je vous suivrai avec plaisir  Natacha.
  • Alors nous allons débuter par le mausolée de Lénine

Je suis troublée par son regard noir pétillant de vie, mais curieusement doux et charmant.

Il sort de l’hôtel, se coiffe d’une chapka noire. Nous marchons dans les rues presque désertes à cette heure matinale.

Sur l'immense place. nous nous arrêtons pour admirer la vue d’ensemble. J’attire son attention sur la cathédrale Basile le Bienheureux, véritable château de conte de fée aux dômes ressemblant à des berlingots recouverts d'un soupçon de chantilly neigeuse. De l’autre côté de la place, je lui montre l’imposant musée d’histoire rouge foncé avec de fines tourelles blanches. Je termine ma présentation par le  Mausolée de Lénine  adossé au Kremlin avec sa coupole de cuivre recouverte de neige. Pendant que je lui raconte la révolution de 1917, je le sens rêveur, absent comme si l’histoire ne l’intéressait pas.

  • Dois-je continuer mes explications Monsieur ?
  • Mais oui bien sûr. Excusez moi Natacha : vous avez une très jolie voix avec un accent charmant qui me fait rêver.

Devant le cercueil de verre ou Lénine repose embaumé, rien ne vient briser le silence mais je sens derrière moi son regard insistant.

Nous quittons la place. Il fait très froid, Il me propose de nous arrêter dans un café pour boire une boisson chaude afin de nous réchauffer. J’accepte volontiers son invitation.

Attablés dans la salle sombre de ce café moscovite, en dégustant chacun notre chocolat brûlant, je le découvre enfin. Il fume en me regardant une cigarette brune. Il attire ma curiosité. Je ne sais rien de lui. Je ne sais jamais rien sur mes clients, c’est la règle. Que fait cet homme en France ? Pourquoi vient-il visiter Moscou ?

Il interrompt mes pensées :

  • J’aime bien votre prénom Natacha
  • Merci, je l’aime bien aussi
  • Vous paraissez si jeune Natacha, Peut- être êtes-vous mariée ?
  • Je suis célibataire, étudiante en français et je vous sers de guide pour gagner quelques roubles pour payer mes études. Je suis intriguée de voir un français visiter Moscou. Si ce n’est pas indiscret, puis je savoir ce qui vous amène ici ?
  • Le plaisir de la découverte Natacha et un certain goût pour ce qui sort des normes. J’aime aller où les autres ne vont pas et pourquoi pas ensuite en témoigner
  • En témoigner mais comment ?
  • Par la chanson Natacha, je suis chanteur
  • Chanteur mais que chantez vous ?

 

Sans répondre il se penche ver moi et se met à chantonner à voix basse

« Et maintenant, que vais-je faire
Vers quel néant glissera ma vie
Tu m'as laissé la terre entière
Mais la terre sans toi c'est petit »

Je suis sous le charme de sa voix chaude et vive

  • C’est beau et triste. Vous chantez très bien Monsieur
  • Accepteriez-vous Natacha de me chanter une chanson russe.
  • Je chante très mal Monsieur, je préfère vous réciter quelques vers de notre célèbre poète Pouchkine ;
  • Je vous écoute Natacha

Je me mets à réciter langoureusement tout en le regardant.

Ciel de brume ; la tempête
Tourbillonne en flocons blancs,
Vient hurler comme une bête
Ou gémit comme un enfant. 
Mais buvons, compagne chère
D'une enfance de malheur !
Noyons tout chagrin ! qu'un verre
Mette de la joie au cœur !

 

Je m’arrête, garde le silence quelques instants…. Il semble ailleurs.

  • Vous aimez ces vers ?

Il me prend la main et la tient dans les siennes soutient mon regard. Je suis sous le charme. Le désir monte. La table qui nous sépare freine mon impulsif désir d’étreinte. Il me serre la main plus fort la caresse, se lève et me fait un petit bisou sur la joue en me disant :

  • Un petit bécot Natacha.... avant le grand.... peut-être !

N'osant nous l'étreindre dans ce café devant de nombreuses personnes, je lui propose de sortir et de continuer la visite.

Nous nous levons à regret, il paye le serveur. Nous sortons. Nous continuons la visite de Moscou. Je suis tellement troublée que je n’ai plus aucun souvenir de ce que nous avons vu.

Je lui propose de passer la soirée avec mes copains étudiants à l’université. Il accepte avec plaisir.

Dans ma petite chambre, nous lui parlons de la vie à Moscou, de nos joies et difficultés quotidiennes. Il nous parle de la France, de Paris, des Champs Elysées.

Nous buvons beaucoup, beaucoup trop. Il fume ses cigarettes brunes en chantant :


Salut les copains
Voyez j'ai mauvaise mine
Les rues de Pantin
Manquent de mandoline

Je pars en voyage
Avec pour bagage
Dans ma petite musette
Cinq ou six chaussettes

Deux ou trois chemises
Ma plus belle mise
Moi je pars pour l'Italie

Vous me voyez sur des gondoles
Emporté au fil des canaux
De tarentelle en barcarolle
Dansant l'soir au bord du Lido

Au petit matin, mes copains un à un nous ont quittés. Seuls dans la chambre, nous nous aimons.

François me quitte, il doit passer à son hôtel chercher sa valise avant de prendre son avion. il me promet de revenir un jour prochain. Il m’invite à Paris où il me servira de guide.

J’irais peut être un jour à Paris.

 

Journal de Natacha / Mars 1965

Ce matin j'ai reçu un courrier venant de Paris. À l'intérieur de l'enveloppe une courte lettre de François : Pour vous Natacha ces quelques vers de Pouchkine et mon dernier disque "Nathalie".
Je lis les quelques vers de Pouchkine en Français

"Je vous ai aimé et mes sentiments
Tressaillent encore dans mon âme,
Et si mon cœur est dans les tourments
Ne vous inquiétez surtout pas, Madame.
Je vous ai aimé sans grand espoir,
Jaloux, suspendu à vos regards,
Je vous ai aimée timidement et si sincèrement
Que Dieu fasse qu’un autre vous aime autant.
"

 

Sur la pochette du disque la photo de François (alias Gilbert Bécaud). Je met ce disque sur l’électrophone. J'écoute et chantonne avec lui :

La place Rouge était vide
Devant moi marchait Nathalie
Il avait un joli nom, mon guide
Nathalie

Quelle émotion, je pleure. Je n’ai pas oublié François, je l’aime toujours. Je ne suis pas pour lui non plus un amour de passage. Non seulement il ne m'a pas oublié et il me célébre en me dédiant cette chanson ……. Et si j’allais à Paris.

Martine / Janvier 2017 . Réédition pour le défi 177 des croqueurs de mots animé par Fanfan.

N.B. : Excusez cette réédition mais je viens de terminer mon traitement. Curieusement lorsque j'étais malade j'avais tous les courages pour écrire, agir. Cela me permettait de tenir. Depuis que je reprends ma vie normale  en Vendée loin de l'hôpital (juste une visite de contrôle tous les 6 mois) je n'ai plus aucun courage. Cette lutte m'a épuisée et je vais me reposer, enfin je vais essayer car pour moi c'est très difficile de ne rien faire.

Rédigé par Martine.

Publié dans #Ecrits divers

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D
Les rééditions ne sont pas inutiles, il y a toujours quelqu'un pour découvrir puis certains peuvent avoir la mémoire qui flanche hihi!!! Pour moi c'est une découverte et j'ai beaucoup aimé.<br /> Pour ta santé, c'est certain tu subis le contre coup, le traitement est parfois plus invalidant que la maladie.<br /> Bisous Martine et surtout prends bien soin de toi.<br /> Domi.
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M
J'ai lu ce que tu dis de ta santé, c'est normal que tu ai le contrecoup, ces traitements fatiguent beaucoup et tu as sans doute été très secouée<br /> Bon courage Martine
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M
Mes parents à l'époque avaient fait un beau voyage en Russie, ils avaient rencontré de grands amoureux de la France et de sa langue, une femme qui les avait arrêtés dans la rue et ensuite nous écrivait, elle m'a écrit, sans doute à l'instigation de mes parents qui savaient que j'aimais écrire (!) nous avons correspondu longtemps, elle nous envoyait des disques et toutes sortes de parutions ! Absolument charmante
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J
Une belle histoire que t'a inspirée la chanson de Gilbert Bécaud , j'aime beaucoup ce chanteur et la façon dont tu lui as rendu hommage est vraiment belle .<br /> J'espère que tu vas retrouver ton tonus.<br /> Bonne soirée <br /> Bisous
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É
Bonjour Martine. C'est toujours un plaisir de te lire et j'adore ta broderie autour de cette belle chanson de Gilbert Bécaud. Prends bien soin de toi
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J
belle romance Martine j'aime beaucoup les chanson de Bécaud !<br /> repose toi, il faut que la tension nerveuse tombe c'est de alà ta grande fatigue.<br /> bises
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K
... j'aurais voulu que l'histoire continue ... mais aurait-elle été si belle ? <br /> J'aime beaucoup ta manière d'écrire ... je suis prise par tes mots qui résonnent en moi, et je m'évade quelque peu ... <br /> Il est des chansons, comme celle-ci, qui passent les années sans perdre un mot d'émotion ... Merci de me faire rêver ... <br /> Ta fatigue est bien légitime (la saison ne te viendra pas en aide), fais comme il te semble bien ... tu connais ton corps mieux que personne ... <br /> Bisous Martine ... courage !
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I
Je me souviens bien de ce billet et je l'ai relu avec plaisir!<br /> C'est peutêtre normal que tu flanches un peu mais je suis sûre que l'air vivifiant des Sables va te redonner tous les courages!<br /> Bises<br /> Dany
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S
Tous vos sens en éveil pour un spectacle à la fois déroutant et harmonieux!
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M
Bien agréables ces moments passés avec LE grand Bécaud, merci Martine. <br /> Le tonus va progressivement reprendre le dessus, bonnes pensées de la part des Cabardouche.
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C
Tu n'as pas à t'excuser, Martine, loin de là ! D'abord, c'est une réédition qui est superbe ! Ensuite, c'est normal d'être ainsi, ce n'est un petit rien, ce que tu vis là ! Je te trouve extraordinaire, tu sais ! Il faut prendre le temps de bien te reposer ! Douce nuit à toi et gros, gros bisous♥
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D
cela me rappelle fin décembre 1980. Nous avions préféré allé au magasin célèbre sur la place Rouge qu'aller rendre visite au tombeau de Lénine. Et à l'aéroport, bloqué par le brouillard, j'ai acheté une chapka que j'aime toujours. J'ai beaucoup aimé ton texte et la voix de Bécaud remonte à mon souvenir.<br /> Tu as tenu tout le long de ton combat, maintenant, tu peux te lâcher et je te souhaite quelques rayons de soleil pour profiter de l'océan. Bises
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G
Je connais cette place Rouge, j'ai eu le plaisir d'aller à Moscou ! Superbe ton article : j'ai adoré ! Cordiales amitiés & à +
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M
En tout bravo pour cette réédition d'un texte que je n'avais pas lu. Et bon courage pour tes prochains projets d'écriture qui ne manqueront pas, même si tu un petit coup de mou. A bientôt!
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N
Comme je te comprends, ma chère Martine. J'adore tes mots et cette sublime chanson chantée par un grand monsieur. C'est normal que tu sois épuisée. Tes forces reviendront peu à peu. Prends des oligo-éléments, ils vont t'aider à refaire surface. Je t'embrasse très fort.
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F
Tu as bien amené cette chanson que j'adore .Une très belle histoire d'amour . J'aime beaucoup. Il faut te reposer et petit à petit l'énergie reviendra . Bonne semaine;bises
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C
Belle balade autour de Bécaud. Natacha est une de mes chansons préférées de lui. <br /> Prends le temps, savoure l'instant, il n'y a aucune urgence, prends des forces pour les beaux jours à venir. Bise d'ici
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L
ps --- au fait oui demande au dr si pas besoin de vitamines-----<br /> ton organisme a été à rude épreuve- les produits sont longs à évacuer-<br /> un petit cocktail de vitamines ??<br /> bisous-
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M
Je préfère manger des fruits et des légumes qui sont plein de vitamines. Je prends de la vitamine D en complément à cause de l'hormonothérapie qui m'a été prescrite et qui peut amener de l'ostéoporose. Bises
L
une très belle participation! j'ai apprécié-<br /> le courage-- mais si tu en a - tu as besoin de te reposer et puis la saison n'est pas très clémente-<br /> fait du classement-- du tri ?? sur ton ordi ?<br /> gros bisous vitaminés-
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Q
Ma chère Martine,<br /> Je me souviens très bien de ce billet que j'avais adoré et que j'ai aimé relire. Merci pour cette réédition.<br /> Par contre, je suis désolée d'apprendre que tu n'es pas aussi en forme que je le souhaitais...<br /> J'espère que le climat d'Olonnes va te remettre sur pied.<br /> Je t'embrasse fort.
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L
Mais tu fais quand même, chère Martine, puisqu'on peut te lire et que c'est un enchantement ! Repose-toi maintenant, oui, gros bisous.
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C
très beau texte,qui illustre la chanson de Gilbert Bécaud. Bises@+
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J
Tu n'as pas à t'excuser Martine, c'est un très beau texte tout à fait dans le sujet et je suis sûre qu'il méritait d'être remonté à la surface près des quais. bises et belle journée
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A
C'est un très bel article, tu as bien fait de le publier de nouveau.<br /> Se reposer n'est pas forcément ne rien faire mais faire différemment en changeant de rythme. Je suis certaine que tu vas te laisser porter par la Vendée que tu aimes et qui t'offre la richesse de sa nature.<br /> Repose-toi bien, tu dois reprendre ton souffle.<br /> Bon courage et bonne journée.
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D
Je ne connaissais pas ton texte et je suis heureuse de le découvrir, un très beau détournement de cette superbe chanson.<br /> C'est normal d'être épuisée après un traitement, le tonus va revenir , ton passage par le mode médical est encore présent mais tout va s'estomper, je te trouve très courageuse.<br /> très belle journée, bises<br /> danièle
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C
Je n'avais jamais lu cet article, il est vraiment charmant et explique si bien la chanson de Bécaud. C'est que cela pourrait être cela le fin mot de cette histoire en chanson.<br /> Je comprends que tu sois épuisée par ton traitement, repose-toi un peu et tu verras que l'envie d'écrire reviendra.<br /> Bon début de semaine et bien amicalement.
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S
Je ne connaissais pas ton texte alors c'est avec grand plaisir que je le découvre. Repose-toi bien, ça va revenir.
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Z
Une très belle réédition Martine pour ce défi de notre Fanfan. Repose toi bien dans ta Vendée ! De gros bisous.
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L
Je me rappelle très bien de ton texte... Peu importe moi aussi j'a recyclé ; pas pour les mêmes raisons quoique, j'ai une immense fatigue qui vient d'on ne sait où . Je te trouve très courageuse, tu t'es bien battue il est normal que tu lâches un peu prise... Je sais que tu vas vite rebondir et reprendre le dessus.<br /> Je te souhaite la meilleure année possible, tous mes voeux t'accompagnent.<br /> avec le sourire
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J
Ah la Natacha et cette chanson qui a fait le tour des radios... prénom de ma belle-fille, merci Martine... pas de souci côté réédition, un peu de laisser aller te fera grand bien aussi... amicales pensées, bises
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