La couverture rouge et le plaid écossais / Brigitte Lécuyer
Publié le 28 Décembre 2008
En mon absence un très beau conte poème de Brigitte Lécuyer Tant de secrets demeurent, Au creux de nos maisons Je vais vous raconter. L'histoire frileuse et banale, De ces deux-là. Lui était bien plus âgé qu'elle, En faux lainage sûrement, mais fidèle. il venait d'ailleurs, D'un meublé de montagne. Il avait déménagé Pour un studio huppé côté Méditerranée On l'avait récupéré in extremis avant la vente, Reconnaissant, il rendait service. Cent fois, on l'avait lavé, pressé, essoré, étalé Il en avait subi des outrages, vu des choses, De ces choses qu'on n'ose avouer Qui couvent sous des couvertures, vous voyez ? Il n'avait pas rétréci au lavage, C'était déjà bien ! Il avait eu un frère jumeau, naguère Un frérot qui s'en était allé, de voyage en voyage, Pâlir et se décolorer sur la plage arrière d'une Saxo Il avait rejoint la côte et ses senteurs de lavande, Sauf qu'il en avait perdu l'éclat de sa jeunesse, À force de soleil cru sur ses carreaux écossais. Il avait servi à tout celui-ci De nappe pour des pique-niques improvisés De couchage pour chiens velus D'oreiller roulé en boule Pour des périples longs aux abords des Noëls. Son autre, son double, lui, Dormait peinard dans le noir d'un placard, on le sortait encore Pour suppléer une couette, entre deux saisons. Il aimait sortir, voir du monde, À défaut d'être indispensable Il réchauffait des pieds transis, Jeté en vrac sur un canapé Il devait juste déguerpir, laisser la place, Quand débarquait un invité surprise Il n'avait plus si fière allure. On lui avait préféré l'autre, Une mijaurée qui se vantait de venir D'un grand magasin réputé D'un rouge insolent, D'une douceur relative, D'un tissu indéterminé. On la disait polaire, comme si... Comme si, d'être polaire pouvait réchauffer, C'était grotesque ! Elle affichait de grands airs, disait venir de Paris ! Plutôt de Chine, c'était inscrit en tout petit sur son pedigree, L'étiquette trop voyante, comme le reste, on avait dû la couper ! Ils avaient cohabités contre l'autre En boudin, dans un recoin du salon Mais on ne les prenait que séparément, Et lui le vieil écossais, Qui n'avait connu l'Ecosse que par oui dire, Se morfondait, sans espoir d'emballer la belle. Un jour, on l'avait relégué à l'étage, Trop mité, plus à la mode, On préférait montrer ce qui était montrable, Dans l'air du temps, L'autre, l'écarlate, L'écervelée qui ne couvrait les pieds qu'à moitié, Avec ces bordures de faux bourdon, Crocs blancs qui ne mordraient jamais personne. Elle pouvait parader, se pavaner Elle avait l'avantage d'être peu salissante, De sécher en un temps éclair, la polaire ! Seuls les chattes de la maisonnée, Ne voyaient aucune différence, Elles aimaient s'y pelotonner Et du moment qu'on l'étalait, C'était pour elles, que pour elles Pour qu'elles n'aillent pas polluer de leurs poils volages, Le canapé immaculé. Elles s'y lovaient en toute innocence Sans rien connaître du passé. Cette histoire, je vous l'avais dit Ne vaut pas une strophe de plus A mettre dans la catégorie : faits d'hiver !
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