Défendre l'indéfendable (Défi 60 de Ghislaine)
Publié le 16 Avril 2018
Messieurs les jurés,
Ce n’est pas par un discours que je vais terminer ma plaidoirie : tout simplement le court récit du micro-trottoir que j’ai réalisé devant le palais de justice. avant de venir plaider devant cette cour d’assise aujourd’hui.
J’ai posé une question, une seule à une cinquantaine de personnes dans la rue : hommes, femmes, jeunes vieux aussi représentatifs de notre Société que vous l’êtes. Quelle était cette question ? Qu'est ce qui peut être indéfendable ? Les réponses qui m’ont été faites spontanément sont très variées et parmi les plus courantes
- les criminels : violeurs et meurtriers d’enfants, de femmes
- Les terroristes
- Les auteurs de génocides
- Les pervers harceleurs
Parmi les plus idéologiques
- Le capitalisme
- Les politiciens
- La peine de mort
- Le travail des enfants
Parmi les plus originales, manière élégante de botter en touche avec humour
- Ma belle mère
- Mon percepteur
- Mon miroir qui n’a aucune pudeur
- Mon patron
- Les avocats qui acceptent de défendre les indéfendables (et l’interviewé de rajouter pour se faire pardonner cette critique à mon encontre)…. même s’ils ont du courage à plaider des causes perdues d’avance
Et c’est vrai qu’il faut être courageux car, comme le disait Pierre DAC, « En bonne justice, il est rare qu’une cause perdue soit retrouvée »
La réponse que je préfère est humaniste. C’est celle d’un jeune interviewé me répondant avec une belle assurance : « l’indéfendable n’existe pas ». Chaque criminel doit être défendu. Je ne suis pas Mère Thérésa et n’ai aucune vocation à secourir la terre entière mais Je me suis dit que j’étais peut-être face à un futur confrère car pour être avocat, il faut être intimement convaincu qu’il n’y a pas de coupable de délit ou de crime qui ne peut être défendu et à qui l’on ne peut trouver d’excuse, de circonstances atténuantes comme on dit dans notre jargon judiciaire.
Qu’est-ce qu’une une action sinon :
- soit une folle pulsion, impulsion incontrôlable due à la folie,
- soit une intention transformée en acte
Ce n’est pas l’intention mais l’acte que vous jugez et à travers lui la personne qui s’en est rendue coupable et que vous allez punir. Si nous devions juger l’intention : les tribunaux déjà pleins déborderaient.
En toute sincérité, Monsieur le Président, Monsieur l’avocat général, Messieurs les Jurés : : Levez le doigt si vous n’avez jamais eu un jour l’intention, même furtive, de voler, frapper, nuire à quelqu’un d’haï, voire le tuer.
Aucun doigt levé : merci de votre honnêteté. Pourtant aucun de vous n’est passé à l’acte. Pourquoi ?
Tout simplement en raison des valeurs qu’on vous a inculquées, de la raison qui à cet instant vous habitait, vous habite aujourd’hui et vous habitera peut-être encore demain mais pouvez-vous être certains qu’elle ne vous quittera pas un jour ? L’impulsion folle peut guetter chacun d’entre nous.
Réfléchissez bien, c’est en tenant compte de ces mêmes valeurs de ce que vous considérez comme bonnes que vous allez juger quelqu’un que vous qualifiez peut-être d’indéfendable donnant raison à Aristote qui écrivait « ce n’est pas le mal mais le bien qui engendre la culpabilité »
L’accusé, que je défends aujourd’hui est coupable d’avoir donné la mort. Tous, vous moi sommes d’accord sur ce point. Vous vous attendez peut être de sa part à des excuses courtoises et repenties pour atténuer la sanction que vous allez prononcer. il n’en fera vraisemblablement pas car les indéfendables se sentent rarement coupables au nom de leurs propres valeurs ou de la perte de la raison. Seuls ceux qui se sentent coupables peuvent s’excuser
Bien entendu, il va vous falloir juger et sanctionner mon client pour ce crime mais faites-le en votre âme et conscience surtout sans écouter les clameurs de la foule accourue en masse pour réclamer la vengeance suprême et même le retour à la peine de mort. Sachez que c’est vous qui allez décider du sort de l’accusé et qu’aucune autre cour n’allègera ou alourdira la peine que vous allez donner car mon client ne présentera aucun recours devant la cours d'appel.
Et pour conclure en m’excusant de vous avoir un peu bousculés par cette plaidoirie inhabituelle qui, à défaut d’être courtisane, aura su j’espère vous faire réfléchir, je citerai Stephen Hecquet « La justice est la forme endimanchée de la vengeance »
C’est cette même vengeance sans son habit du dimanche qui a conduit mon client à commettre l’irréparable.
Martine (Avril 2018) ancien texte remanié pour le défi 60 de Ghislaine