Rencontre (défi 272 d'Evy)
Publié le 3 Juillet 2020
Alors qu'il avance d'un pas décidé dans le couloir de la station Les Sablons à Neuilly, Vincent entend le métro approcher. Il est pressé, il a un rendez-vous important et il n’est pas en avance. Il accélère sa marche. Quand il arrive sur le quai il entend la sonnerie stridente de fermeture des portes retentir, il se met à courir mais les portes se referment devant lui. Il devra attendre la prochaine rame. Il s’en veut. S’il avait couru dans le couloir comme il en a eu envie, il n’aurait pas maintenant à attendre désœuvré sur ce quai bondé. Il pense à son rendez-vous qu’il a attendu avec impatience comptant les jours qui l’en séparaient. Une pensée soudaine l’envahit. Y Tient-il vraiment? Depuis ce matin on dirait que tous les obstacles se mettent sur son chemin pour l’empêcher d’honorer cette entrevue et si c’était lui qui, inconsciemment, dans sa tête, freinait, avançait à reculons vers son avenir. Il est sorti de ses réflexions par une annonce RATP. « Le Trafic est interrompu sur la ligne 1 en raison d’un incident technique». Non ce n’est pas lui qui freine pense-t-il, peut être son ange-gardien qui fait tout pour réduire à néant son envie de métamorphose, de dévier la route que, depuis sa naissance, le destin lui a tracée.
Sur le quai, il est surpris par le regard d’une jeune femme aux cheveux très courts aux traits du visage si fins qui contrastent avec son allure masculine et son corps très musclé. Ému, Il la regarde et lui sourit. Son visage gracieux s’éclaire soudain d’un soupçon d’amusement comme si elle éclatait de rire au plus profond d’elle-même tout en essayant de le masquer.
Pour résister au trouble qui l’envahit dans cette confrontation silencieuse, il lui dit les premiers mots qui lui viennent spontanément
- « Je m’appelle Vincent et toi ? ».
Il s’en veut aussitôt. C’est stupide comme début d’une histoire il en convient mais que pouvait-t-il lui dire d’autre. Elle n’a pas l’air de lui en vouloir au contraire et l’ironie de son premier sourire fait place à une grande douceur.
- "Vincent" : alliance de vingt et de cent, Serais-tu un matheux ? Je m’appelle "Ella" alliance du « L » et du « A », je suis une littéraire ».
- J’ai toujours été nul en maths. Je suis plutôt un artiste qui a perdu le sens des réalités à force de rêver. Je suis coiffeur et toi ?
- Coiffeur, est-ce pour cela que tu as un cheveu sur la langue ?
Vincent rougit, elle avait remarqué son léger bégaiement qui s’accentue quand il est ému.
- Tu as de l’humour Ella, oui je zozote un peu parfois quand je suis stressé. Et toi que fais-tu comme métier ?
- Je suis jardinière.
- Tu crées des paysages.
- Non, j’aimerais bien imaginer et réaliser un nombre infini de jardins, j’ai appris et cela me motiverait beaucoup mais pour le moment je suis élagueuse pour la ville de Paris. Je n’ai rien trouvé d’autre dans mon domaine de compétences et puis je suis sportive, j’aime me dépenser physiquement et aussi parler aux arbres quand je leur fais une beauté ou quand, hélas, je suis obligée de les abattre.
- Enchantée de te connaître Ella l’élagueuse. Ce n’est pas trop difficile comme métier pour une femme ?
- Non, en fin de compte on fait le même métier : je taille les arbres comme tu tailles les cheveux. Et toi coiffeur ce n’est pas trop difficile pour un homme de côtoyer toutes ces femmes et de recevoir leurs confidences ?
Vincent rougit encore plus de la stupidité machiste de sa question. mais cette jolie jeune femme à la force douce et si vive d’esprit lui fait perdre tous ses moyens. Étant attiré par les hommes, c’est la première fois que cela lui arrive de ressentir un tel attrait pour une femme et cela le trouble d’autant plus.
La voix d’une hôtesse RATP interrompt quelques instants leur dialogue « le trafic est interrompu sur la ligne 1 entre Charles de Gaulle étoile et la Défense pour une durée d’au moins une heure. Merci de sortir du métro pour prendre le bus 73 afin de rejoindre Étoile ou La Défense.
Ella semble contrariée un moment puis sourit en se tournant vers Vincent et lui dit
- Au revoir Vincent, J’avais envie, en ce samedi ensoleillé, de faire du shopping sur les Champs Élysées. J’y renonce, je rentre chez moi. Merci la RATP je vais faire des économies aujourd’hui.
- Je vais regagner mon domicile également. Je renonce à mon rendez-vous. Cela n’a plus d’importance, je n’avais pas vraiment envie d’y aller. Mais avant puis-je t’offrir un verre Ella au Sequoia café ? J’ai envie de mieux te connaître
- D'accord Vincent mais s’il te plait ne me drague pas, je déteste cela.
- Tu me fais rire Ella, tu ne risques rien, je suis gay.
- Merci pour ta confidence Vincent, Bienvenue au club, je suis lesbienne !
Ils continuèrent leur conversation en se dirigeant vers la sortie du métro
- Tu avais rendez-vous avec ton compagnon Vincent ?
- Non pas du tout, je n’en ai pas en ce moment. Je suis dans une période de remise en question.
- Je suis curieuse. Est-ce que ce rendez-vous avait un rapport avec ton état actuel ?
- Oui Ella. J’ai l’impression d’être sur une balançoire qui ne s’arrête plus et qui oscille entre « je vais le faire » et « non je ne peux pas »
- Tu allais chez un psy.
- Non mais tu brûles.
- Tu allais chez un médecin ?
- Oui.
- Ton généraliste ?
- Non un spécialiste à l’hôpital Saint-Louis qui ne soigne pas mais change ton image.
- Un chirurgien esthétique ?
- En quelque sorte !
- Je ne devine pas dis-moi.
- Normal c’est impossible à trouver et même si tu le trouvais oserais-tu me l’avouer ?
- Allez dis-moi Vincent !
- Si je te le dis tu ne viendras plus jamais boire un verre avec moi.
- Mais si je te le promets.
- J’allais voir un chirurgien qui allait me transformer en femme ? Je suis coiffeur pour transsexuels. A force de les côtoyer j’avais envie de changer de sexe. Maintenant finalement je crois qu’inconsciemment, je ne le souhaite plus. Je me réjouis que cette panne m’ait empêché d’y aller. Je crois aux signes du destin. Ella si tu reviens sur ta promesse et que tu prends tes jambes à ton cou, je comprendrais car les gens bien ne peuvent admettre cela
- Sauve qui peut ! Non je plaisante, je reste. Te rencontrer Vincent m’a comblée de joie et je me réjouis de cette panne dans le métro qui m’a permis de faire ta connaissance. Je crois qu’une belle amitié est née.
Sur ce, Ella lui fait un petit baiser furtif sur la joue, le prend par le bras et ils sortent ensemble sur l’avenue Charles de Gaulle. Elle le regarde en souriant et lui dit
- Tu sais Vincent Je n’aime pas les gens biens et comme dirait Emile ZOLA dont j’ai lu tous les livres et que j’adore « quels gredins les honnêtes gens »
Martine Martin / Pour le défi 272 d’Evy sur le thème « rencontre ». Les mots imposés sont en gras