A cheval / De Brigitte Lécuyer
Publié le 28 Juin 2009
J'ai dû voir une mule, avant un cheval et un authentique chameau, avant ma première mule. Au Maroc où je suis née, c'était d'un commun ! Je débarquais en France vers l'âge de quatre ans mais ne gardais aucun souvenir d'une rencontre avec un des poneys qui promenaient les petits parisiens sages, dans les allées du Bois de Vincennes. J'habitais à deux pas. Pourtant je n'ai pas eu droit à cette récréation : Soit je n'étais pas assez sage, soit ce n'était pas au programme de ma nouvelle situation familiale, recomposée.
Je grandis loin de la campagne et j'aperçu mon premier vrai et grand cheval qu'à Orléans où j'étais pensionnaire. Ce fut une révélation pour moi, ce 8 mai, jour béni de la fête de Jeanne d'Arc.
Ce jour là, une fausse pucelle, mais non moins méritante jeune fille de la ville se traînait lourdement caparaçonnée d'une cuirasse en fer-blanc, histoire de coller à l'histoire et d'imiter la vraie. À cette occasion, la fausse Jeanne d'Arc montait un fier destrier, enfin un rude percheron.
L'animal qui se fichait bien du décorum et tout à ses rêveries d'écurie, déversait ses crottins tous frais du jour, sans retenue ni pudeur, sur la chaussée lessivée à grande eau le matin même.
Or, ils étaient nombreux à parader autour de Jeanne qui tenait noblement l'étendard de la délivrance
dans son poing déterminé. D'autres cavaliers à l'allure virile, luisaient dans leurs cottes de maille et trottinaient comme des braves, suivis de pages boutonneux, vêtus eux d'habits
de velours rouge et de bas immaculés. Malgré tous ces costumes sublimes, la fête et la musique vibrante, je trouvais ces animaux-là répugnants Ce laisser-aller, dans la rue, c'était d'un sans
gêne !
Et puis ils avaient l'air de quoi, hauts perchés dans les sphères à narguer les petites gens
comme moi. À partir de ce jour, je me mis à détester sans plus de raison, ces bestiaux qui ne respectaient rien, surtout pas les endroits où ils avaient l'insigne honneur de défiler devant une
populace complaisante. Je trouvais les chevaux snob, prétentieux et pas franchement francs du collier, ainsi que tous ceux, en gros qui les montaient.
Quand ce fut notre tour de défiler dans la rue Royale pavoisée aux couleurs orléanaises des milliers
de gens, se pressaient, s'agglutinaient contre les barrières. Installés dès l'aube, pour assister au spectacle, ils venaient d'horizons divers jusque du fin fond des Pays de Loire et même
de l'étranger, affirmaient les bonnes sœurs. Il fallait sans cesse jeter un œil vers le sol, louvoyer entre les déjections chevalines et bien placer nos pieds chaussés de tennis blanches. La
veille, nous les avions enduites de dentifrice, pour qu'elles paraissent plus blanches et plus éclatantes encore. Nous resplendissions de jeunesse et de santé. La foule nous applaudissait à tour
de bras. Du haut de mes dix ans, j'arborais un air martial, marchais au pas, ma jupette plissée soleil découvrant mes minuscules gambettes. Je levais le menton comme une gymnaste accomplie.
On entendait encore au loin, la chevauchée fantastique, les échos sourds des tambours et les trompettes de la garde qui nous devançaient et ......j'évitais de marcher dedans. Ça puait la
ménagerie du zoo de Vincennes. L'animal paraissait disproportionné, géant, doté de cette paire de fesses indécentes, qu'on appelait « croupe » (comme la maladie du même nom dont
j'avais failli mourir bébé) et puis cette queue nattée, franchement, ça frisait le ridicule.
Si j'avais été obligée de monter en selle, de jouer Jeanne d'arc en personne, (j'en avais déjà la coiffure) j'aurai préféré mourir brûlée en place publique du Martroi, plutôt que d'escalader ce phénomène contre nature, ce monstre qui ricanait de ces dents jaunies de faux jeton et.... qui se foutait de moi.
Même de loin, je me méfiais, un mauvais coup était vite arrivé. Certains chevaux énervés par la foule et la chaleur, gesticulaient, se cabraient et renâclaient à avancer droit. On frôla plusieurs fois la catastrophe.
On disait que la bête pouvait tuer un homme, d'un coup de sabot ou d'une de ces fameuses ruades. Comment pouvait-on être assez fou pour appeler « la plus belle conquête de l'homme » cette bête capricieuse !
Je me sentais davantage en harmonie avec les ânes, eux qui savaient rester humbles, et qui avaient réchauffé Jésus en personne. Souvent affublée du célèbre bonnet d'âne, je trouvais que le monde était injuste envers l'animal. Personne ne partait en guerre à dos d'âne ! J'appris à les apprécier, même si inévitablement, à faire l'âne je finissais dans un coin de la classe avec des oreilles en papier sur la tête !
Aux alentours de mes dix-huit printemps, je commençais à trouver l'animal plus élégant, gracieux même quand il gambadait dans des paysages sauvages, je le trouvais presque beau. Un jour j'en approchais un, j'arrivais même à le caresser, puisque tout le monde autour de moi le faisait. En ces prémices de 1968, je résidais à Clamart, dans un splendide manoir...enfin dans une vieille demeure transformée en foyer pour jeunes travailleuses et dirigée par d'allègres religieuses aux méthodes modernistes. Derrière l'imposante bâtisse découpée en chambrettes, il y avait un parc. Un endroit arboré aux belles proportions où broutaient des chevaux isabelle. ils appartenaient à un manège des alentours qui les confiaient à nos bons soins, histoire qu'ils se gavent la panse de notre herbe grasse et soient d'attaque pour recevoir les culs musclés des snobinardes et pimbêches du coin. Pour des raisons de sécurité évidente, ils étaient maintenus à une longe, elle-même fixée à un solide pieu.
Sous l'œil goguenard des sœurs, mes colocataires courageuses ou inconscientes ne trouvaient rien de mieux à faire que d'escalader à cru cette monture inopinée à l'aide.... d'une chaise du réfectoire. L'affaire était délicate. Il s'agissait de faire tenir l'équidé tranquille, lui qui entendait bien garder sa part de liberté et piaffait à qui mieux mieux pour déstabiliser la candidate au suicide. Quand l'apprentie cavalière parvenait à ses fins, elle ne pouvait s'empêcher de lancer un : Hue cocotte retentissant en lui tapotant les flancs et se cramponnant à la crinière ! Habitué à ce qu'on lui grimpât dessus, cocotte entamait illico un galop mesuré, tournait en rond, à moins que ce ne fut un trot, je ne plus trop, toujours sécurisé par la longe qui raccourcissait à vue d'œil autour du piquet.
Sous les quolibets des copines qui pensaient que j'étais une dégonflée de première, je tentais l'impossible et approchais ma chaise du dos de la bête. La trouille en bandoulière, j'enfourchais la bête qui n'était pas très coopérative. Je faillis tomber de la chaise, mais finalement l'animal accepta que je l'enfourche à cru. J'étais plus pétrifiée que jamais, raide et coincée, maintenant un pas poussif, essayant de refréner les ardeurs du cheval. J'essayais d'avoir l'air désinvolte devant mes amies qui ricanaient et je m'agrippais telle une naufragée à la courte crinière, tremblant que la corde ne cède et numérotant mentalement mes abattis. Le cheval me parut osseux à souhait, peu confortable, assez irritant pour mes parties intimes et la base même de mon fondement.
Je ne fus soulagée que sur le plancher des vaches, descendis plus vite que je n'étais montée et mis trois jours à
me défaire de cette odeur de paddock qui s'infiltrait jusque dans l'ourlet de mes pantalons pattes d'éph.
Ce fut la seule, la dingue, mais héroïque virée sur un canasson entravé que j'entrepris de ma vie et nos
rapports s'en tinrent à cette unique expérience. Je ne tentais aucun travail d'approche avec ses congénères, ne renouvelais pas l'aventure. C'était décidément trop haut, là-haut ....
Le temps vint où je rencontrais, mes premiers flirts, mes premiers cavaliers s'appelèrent Forestier,
Moreau, Martin ou Tartempion.
Un jour, je quittais le foyer pour en construire un, le mien.... et devinez qui j'épousais plus tard : un... « Lécuyer » alors là, là vraiment, si même le destin s'en mêle !
Brigitte Lécuyer