Les hommes de ma vie / Le vrai boss (2)
Publié le 25 Juin 2009
L'entreprise où je travaille est une importante société française d'Ingénierie de travaux Publics (électricité, tuyauterie instrumentation) pour des constructions industrielles du type centrales nucléaires en France, plate formes pétrolières, sucreries, raffineries, métros. Elle est aussi sous-traitante du Centre spatial Guyanais.
Monsieur F..... à 36 ans est Directeur des Chantiers français et internationaux. Il a la responsabilité de la préparation et du suivi des chantiers, de tout le personnel (900 personnes grands déplacés, locaux, intérimaires) et du parc matériel et outillage.
C'est une responsabilité importante qui lui donne beaucoup de travail mais il aime cela. C'est un drogué du travail. Il est très souvent en déplacement dans le monde entier. Diplômé d'une grande école d'ingénieur, il a commencé sa vie professionnelle dans l'installation et la maintenance des lignes à haute, très haute tension d'EDF où il faut être disponible jour et nuit.
Il se plaît à dire et à répéter que « le soleil ne se couche jamais sur nos chantiers.
Après avoir accepté d'être sa secrétaire particulière, je m'installe dans un bureau individuel qui communique avec le sien par une porte que je décide de laisser en permanence ouverte quand il n'a pas de visiteurs. Elle était du temps de Mademoiselle R....constamment fermée. Il ne m'en fait pas le reproche. Je pense qu'il apprécie de n'être plus coupé du reste du service. Chacun de ses collaborateurs peut maintenant en passant par mon bureau aller le voir. Quand ce n'est pas le moment, je leur fais un signe et ils comprennent parce que Monsieur F. a une humeur qui varie beaucoup d'un moment à l'autre, d'un jour à l'autre.
Mes journées sont très longues comme les siennes. Je passe quand il est là de longs moments à ses côtés. Il me dicte son courrier technique et me laisse rédiger beaucoup de courriers et de comptes-rendus. Il me fait confiance, j'apprécie vraiment et je m'investis à fond avec enthousiasme comme je sais le faire quand je suis motivée.
Le soir après des journées très chargées, nous nous plaisons à discuter et échanger sur la vie, nos conjoints, nos enfants, nos loisirs. Il arrive au bureau tôt et part très tard. Souvent son épouse l'appelle le soir et c'est sur moi qu'elle tombe car je filtre tous ses appels.
Un soir elle me dit : Madame dites à Alain que les invités sont arrivés et que nous l'attendons. Il apparaît alors dans le cadre de la porte de communication, je luis dis que c'est son épouse. « Que veut elle me dit il sans prendre le téléphone », je luis dis « que vous rentriez chez vous car vos invités sont là » et sur ce il me répond « dites lui qu'ils prennent l'apéritif et qu'elle me serve un whisky avec des glaçons ». J'éclate de rire et tout en essayant de garder mon sérieux je traduis à son épouse que cela ne fait pas rire du tout.
Mon Jeff vit très mal mes absences et nos relations s'en ressentent. Je vis par le travail et pour le travail. Le peu de temps qui me reste le soir et tous les week-ends, je le consacre aux enfants. Je tiens à ce qu'ils ne pâtissent pas de mon peu de disponibilité.
En 1980 quand la guerre Iran / Irak éclate, nous devons rapatrier notre personnel de la base vie d'un grand
chantier en Irak qui a été bombardé. Je passe des soirées, des nuits à aller à Roissy chercher les personnels qui arrivent. Et là au milieu des journalistes nombreux qui les attendent micros à la
main, je les récupère hébétés. Les femmes et les enfants et les chiens de rentrent sans les époux qui sont restés encore quelques jours pour organiser sur place les rapatriements ou
plutôt la fuite.... Imaginez dans ma toute petite voiture toute la famille, les bagages et le molosse (j'ai peur des chiens !), je les véhicule à travers Paris et l'Ile de France pour les
ramener qui à l'hôtel, qui chez eux. C'est important qu'un représentant de la Direction des
chantiers soit la pour les accueillir et régler différents problèmes de logistique. Monsieur F..... pense qu'il vaut mieux que ce soit une femme qui y aille pour accueillir les épouses et les
enfants. Jeff comprend très mal ces absences la nuit tard le soir ou très tôt le matin. Je ne sais pas si il me croit, pense-t'il que j'ai une liaison ?
J'accompagne parfois Monsieur F.... dans ses déplacements en France sur les chantiers de centrales nucléaires. Je me souviens d'un déplacement sur la centrale de Saint laurent des eaux. Invités par un viticulteur de Sancerre à un dîner de vendangeurs avec quelques salariés du chantier, nous mangeons, buvons avec modération (en ce qui me concerne) et chantons.
Un autre jour nous nous déplaçons à Rouen pour rencontrer un inspecteur du travail afin d'obtenir
l'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel qui travaille sur la centrale de Paluel et qui a commis une faute sérieuse.
Après l'entretien nous l'invitons à déjeuner, il accepte et choisit lui-même un des grands restaurants de la
ville. Après le déjeuner nous sortons et faisons une petite promenade dans le centre historique de la ville. Nous passons devant la belle cathédrale gothique. Monsieur F... qui a le réflexe
sécurité s'aperçoit qu'il y a un chantier de ravalement de la façade de la cathédrale et que certains ouvriers travaillent en hauteur sans équipement de sécurité. Il le montre à l'inspecteur du
travail qui lui répond qu'il s'en moque parce que ce n'est pas son secteur !!!! ». Je suis outrée mais je ne dis mot. Il ne dit rien non plus et pourtant la sécurité des hommes sur les chantiers est pour lui ce qui prime avant tout.
Je me souviens d'un accident du travail mortel sur une centrale française. Un de nos intérimaires s'est fait électrocuter. Il a ouvert une armoire électrique consignée. L'écriteau était sur le
devant de l'armoire, il a déboulonné l'arrière. Quand il appris ce tragique accident, Monsieur F...s'est senti coupable alors qu'il n'y était pour rien et j'ai vu des larmes couler sur son
visage. Il était le patron des chantiers, il assumait les erreurs de ses hommes. J'aurais dû deviner me répétait il que même s'il y avait une porte, quelqu'un pouvait pénétrer
par la fenêtre !!
J'organise les élections des délégués du personnel et du comité d'entreprise, vote uniquement par correspondance puisque tout
notre personnel est sur chantier. Un jour je vais, escortée d'un représentant de chaque syndicat, relever la boîte postale à la poste de la ville. Le protocole d'accord qui fixe les conditions de
l'élection stipule que la boîte postale sera relevée à 8 heures. à 8 heures moins cinq le receveur me dit que tout le courrier est arrivé et qu'il n'y a pas lieu d'attendre 8 heures. Je demande
aux délégués présents leur accord pour prendre le courrier qu'ils me donnent facilement. Les élections ont lieu mais un syndicat mécontent de son résultat intente une action d'annulation des
élections prétextant que la boîte postale a été relevée à 8heures moins cinq contrairement au protocole d'accord. Heureusement ils sont déboutés.
Je perds ma candeur en découvrant que tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes et qu'il faut se méfier de
tous.
Une complicité, une amitié est née entre Monsieur F et moi. Elle n'est pas sans me poser de problèmes au sein du service avec
les autres assistantes surtout et même avec certains collaborateurs de Monsieur F. d'anciens baroudeurs de chantiers qui imaginent des choses qui ne sont pas ce qui me peine beaucoup.
Monsieur F. m'invite un jour avec mon époux dans sa maison de campagne dans l'Oise, une belle maison toute simple qui lui ressemble. Son épouse italienne à la forte personnalité est charmante et très drôle. Il a deux petites filles.
Nous les invitons plusieurs fois à la maison pour des soirées déguisées. Il arrive un jour déguisé en seigneur du désert. Je le trouve superbe ainsi. Il nous raconte qu'il a été obligé d'aller chercher l'essence dans cette tenue. J'imagine la surprise du caissier de la station service.
Il organise un samedi une visite de la centrale nucléaire de Paluel, j'y emmène des amis et voisins et nous passons une très
agréable journée. Le midi nous allons tous manger ensemble sur le port de Saint Valéry en Caux .
Monsieur F.... me fait de plus en plus confiance et me confie des responsabilités croissantes.
30 ans après, je suis encore très émue de raconter ici cette période qui restera parmi les plus belles pages de ma vie
professionnelle. je vais arrêter là aujourd'hui. Je reprendrai bientôt ce récit pour vous raconter la suite de cette aventure professionnelle et pourquoi après 10 ans à ses côtés, j'ai dû
quitter Monsieur F.