Galère sur la France
Publié le 3 Avril 2017
Que suis-je venue faire dans cette galère. Je rêve, depuis le voyage triomphant vers l’Amérique de L’Hermione, de traverser l’océan atlantique à bord d’une goélette 3 mâts et avec l’équipage de rentrer dans le Port de New-York sous les ovations de la foule en liesse.
Il y a quelques jours, Je me promenais sur les quais du port des Sables d’Olonne quand soudain j’aperçois une belle goélette 3 mâts à quai « La France». Je profite de la visite organisée pour monter à bord et saluer le capitaine BLANC. Il a le visage poupon, les joues rosies par l’air marin et le soleil. Il porte fièrement la casquette et l’uniforme avec une cravate noire d’officier de marine légèrement de travers. Je lui parle de mon rêve de traversée de l’atlantique. Il me sourit avec ce sourire qui n'appartient lui et qui peut le rendre faussement niais. Il me dit que cela tombe bien car « La France » quittera demain le port pour une traversée de l’Atlantique vers le continent américain mais en augmentant le trajet de l’Hermione puisqu’elle descendra par le sud jusqu’au Cap Horn qu’elle ne franchira pas et remontera les côtes atlantique de l’Amérique du sud et du Nord jusqu’à Saint-Pierre et Miquelon. avant de revenir en France. Il serait très heureux de m’accueillir comme matelot à bord pour ce très long voyage.de plusieurs mois. Seule condition que j’accepte d’écrire le récit quotidien de sa traversée, sa dernière en tant que Capitaine puisqu’il allait prendre une retraite bien méritée. Il cherchait justement un journaliste ou écrivain pour raconter ce périple. Je ne pouvais qu’accepter cette proposition.
Le lendemain j’embarquais sur « La France ». Nous sortîmes du chenal du port sous l’ovation de la foule. C’était Grisant. Le capitaine BLANC passa la barre à son second le matelot rose qui le remplacerait certainement aux commandes de la goélette dès son départ en retraite. Dès la sortie du port, il mit le cap à bâbord normal pour aller vers le Sud. « Tu vas trop à gauche », Va un peu à tribord l’Amérique c’est sur ta droite » lui dit goguenard le Capitaine BLANC
Soudain, le vent redoubla d’intensité, la mer s’agita fortement, Il se mit à pleuvoir des cordes mais cela n’inquiétait pas Capitaine BLANC qui offrit des croissants à tout l’équipage. Tout va pour le mieux dans le plus beau des bateaux se persuadait-il candide !
Le changement de quart intervint, le matelot rose céda la barre au matelot rouge. Ce dernier continua à descendre vers le sud , il dévia un peu, ils se devait d’aller plus à gauche encore que le matelot rose et le capitaine BLANC qui voulait aller trop à droite. Quelques équipiers parmi les plus courageux (car il fallait oser affronter matelot rouge et son sale caractère) lui dirent que s'il continuait ainsi il finirait par percuter la côte. Matelot rouge, surnommé quand il était au gouvernail "Capitaine Hadock", les harangua "Bon ça va, Bachivouzouk, je vous ai compris, je vous ai bien cerné, à mon époque on se suait sang et eau. On savait ce qu’était la valeur du travail" mais il faut écouter le peuple alors je cèderai la barre l’espace d’un quart car bientôt je la reprendrai et ne la quitterai plus. Il attendit un peu néanmoins et juste avant la collision avec la côte il passa la barre.
Matelot gris, le plus jeune, s'en empara avec prestance et redressa légèrement le cap à droite, puis vira à gauche vers le sud tout en longeant la côte. C'était plus prudent avec la tempête annoncée. Parfois il louvoyait à gauche, parfois à droite en fonction des prévisions météo tout en gardant le cap Sud. Certains matelots lui suggérèrent d’affaler les voiles et de reprendre la navigation au moteur. Il ne céda pas pour ne pas contrarier Matelot Vert un écologiste pure souche et Matelot Rouge qui s’était découvert sur le tard une fibre écologique. Matelot gris était un homme de compromis (rien n’était tout noir, ni tout blanc pour lui), un modéré qui voulait être un modèle. Cela ne rassurait pas ses équipiers qui ne savaient pas quand il était à la barre où il allait les mener mais lui il savait où ils allaient tous ensemble et c’était le principal. De plus il s’était lié récemment d’amitié avec Matelot orange un enfant des montagnes originaire de Pau qui le conseillait mais qui manquait toujours de pot. Cela allait finir par leur porter malheur à tous c’était ce que pensaient les autres matelots.
Matelot gris, son quart terminé, avec son éclatant sourire qui le quittait jamais passa la barre à Matelot bleu azur qui n’était pas au meilleur de sa forme : Sourcils épais, cernes sous ses yeux noirs gonflés. Tel Ulysse qui fit un beau voyage, il avait laissé son épouse Pénélope à la maison et il déprimait. Elle venait de perdre son emploi ou plutôt ses petits jobs bien rémunérés d’une façon injuste disait-il. Il soupçonnait Capitaine Blanc et peut être même d’autres matelots d’être à l’origine de cette cabale. Il voulait qu’elle cesse sinon, dans cette période tempétueuse de son existence, il pourrait craquer. Il ne se rendait pas compte qu’il devenait paranoïaque et cela n’était pas pour rassurer les autres matelots qui craignaient qu’il puisse se suicider comme il l’avait laissé discrètement envisagé. Si on l’écoutait sans lui la Goélette France risquait le naufrage. Bientôt il serait le capitaine de ce navire malgré le harcèlement dont il se croyait victime. Il était seul à le croire. Même son ami qui avait beaucoup de classe avec ses Ray ban n’y croyait plus et espérait qu’il n’y arrive pas. Il chantait sans cesse aux autres matelots le soir dans le carré la complainte d’une sirène enrouée "Quelque chose me dit que vous m'aimez encore !" Matelot bleu azur mit cap à tribord, à droite toute sans aucune hésitation, il fallait bien se démarquer après la navigation hésitante du matelot gris. Certains de ces équipiers protestèrent. Je m'insurgeais aussi de l’incohérence de cette route qui allait nous mener si l’on en croyait la météo vers une zone de forte dépression. Son ami vint à sa rescousse en me répliquant , « vous nous faites bien rire vous la journaliste». Sans se laisser perturber Matelot bleu Azur continuât dans cap à l’ouest sur une mer de plus en plus mouvementée jusqu’à la fin de son quart.
Il passa la barre ensuite à Matelot Bleu marine, une femme. On aurait pu penser qu’elle continuerait tout droit en conservant le cap ouest. C’était bien mal la connaître. elle mit cap à tribord, tout à droite plein nord. Elle était consciente qu'elle revenait en arrière mais elle se devait d’aller encore plus à droite que Matelot bleu azur. Elle profita d’un calme passager pour ordonner à un matelot de rajouter après le nom du bateau « le France » les deux mots « aux français » La goélette s’appelait maintenant « La France aux Français ». Certains matelots protestèrent en arguant que c’était inutile maintenant d’aller en Amérique avec un nom de bateau aussi nationaliste et qu’il fallait mieux rester en France entre Français ! L’océan en colère grondait, le bateau valsait dangereusement. Les matelots effrayés se disputaient à bord, chacun attribuant aux autres la responsabilité de ce désastre. Qu'étaient-ils venus faire dans cette galère et surtout qu’étais je venu faire avec eux ?
Son quart terminé Matelot Bleu Marine refusa de rendre la barre. «J’y suis, j’y reste foi de marin breton et n'en déplaise à mon papa» hurla t’elle d’une voix tonitruante et glaçante. Les matelots ensemble se révoltèrent, se précipitèrent sur Matelot bleu Marine et la jetèrent à la mer au moment où un mur d'eau en furie fit chavirer le bateau qui sombra très rapidement avec tout son équipage. Je fus la seule survivante, Dieu était avec moi. Il a certainement voulu que je survive pour relater cette folle et sordite histoire et tenter d'y trouver une morale afin que cela n'arrive plus jamais :
Alors je pourrais citer Kant
« La possession du pouvoir corrompt inévitablement la raison »
Ou encore, en étant partisane du matelot gris et je pense que vous l'avez deviné, je citerai James Dean
« Puisqu’on ne peut changer la direction du vent, il faut apprendre à orienter les voiles ».
Martine pour le défi 183 des croqueurs de mots. Modification complète de mon texte écrit en Juin 2015 pour le défi 147 des croqueurs de mots sur le même thème pour l'adapter à la situation politique nouvelle du pays.