Les hommes de ma vie (3) / Le Docteur esthète
Publié le 11 Juin 2009
Je souhaite travailler dans ma ville et j' adresse une candidature spontanée aux entreprises Rueilloises et notamment aux laboratoires pharmaceutiques car ce secteur d'activité me plait et j'y ai maintenant une expérience.
Je suis reçue par la Responsable du personnel du laboratoire C.... J'arrive à la convaincre de mes compétences et motivations. Elle me présente aussitôt au Docteur J...., Responsable du recrutement et de la formation des visiteurs médicaux qui recherche son assistante.
Je me souviens de ce premier contact, ce Monsieur a beaucoup de classe malgré sa petite taille et sa minceur. Il est vêtu d'un costume gris foncé, d'une chemise blanche orné d'un nœud papillon bordeaux discret. Je suis impressionnée mais un sourire chaleureux vient par moment réchauffer un visage un peu froid.
Après lui avoir parlé de mon expérience professionnelle, il me demande quelles sont mes passions extra-professionnelles. A vrai dire, je n'en ai pas réellement à l'époque mais j'ai toujours beaucoup aimé la peinture. Je lui réponds que j'aime la lecture et que si je ne sais ni dessiner, ni peindre, j'aime beaucoup regarder les peintures dans les revues, ou les musées. Impulsivement je lui avoue aimer Bernard BUFFET. Je le regrette aussitôt en pensant immédiatement que cette peinture moderne ne pouvait pas plaire à ce monsieur d'apparence très classique. Il semble d'ailleurs très étonné et me demande « pourquoi l'aimez vous, pouvez-vous me parler de ses tableaux » ?
Sur tous les murs de notre petite maison nous avions des reproductions de Bernard BUFFET. J'ai toujours aimé sans jamais chercher à comprendre pourquoi. L'amour s'explique t'il ?
Je me surprends à lui répondre que Buffet peint la vie comme elle est vraiment structurée, et à la foie gaie, colorée et parfois bien sombre. J'ajoute que BUFFET a peint tout ce que j'aimais La Rochelle, les chouettes, les fleurs et je deviens intarissable, je lui explique pourquoi j'aime la Rochelle, les chouettes, les fleurs.
Il me laisse terminer et me dit que Bernard BUFFET est son peintre préféré et que j'ai très bien su en parler avec beaucoup de naturel. Nous avons des points communs me dit-il et c'est important pour travailler ensemble, quand pouvez-vous débuter ? Je lui réponds dès demain. . Il décroche son téléphone, appelle la responsable du recrutement et lui dit qu'elle peut annuler tous ses autres rendez-vous car il m'a chosie et que je vais passer la voir à nouveau pour les formalités d'embauche".
Le docteur J.... est un homme charmant, je prends beaucoup de plaisir à travailler pour lui, à taper ses cours de médecine pour les visiteurs médicaux, il m'explique tout avant de me les donner.
Je fais passer ses « quizz » de recrutement que je corrige. Je prépare ses stages de formation initiale
et de post formation. J'apprends beaucoup en rhumatologie et psychiatrie (deux spécialités du laboratoire).
A cause des salles de formation, nous sommes dans un autre bâtiment que le reste de l'entreprise et bien isolés. Entre deux sessions de formation et de recrutement, il n'y a pas grand-chose à faire. Quand il n'est pas là je m'ennuie toute seule mais quand il est présent nous parlons peinture. Sa femme est critique d'art. Il m'offre quelques belles lithographies.
Nous parlons aussi littérature, il aime beaucoup Paul Bourget qu'il me fait découvrir. Je lis « le disciple » qu'il me prête et qui montre comment un jeune homme peut par admiration pour un écrivain se laisser influencer par ses écrits et arriver à tuer. Tous ceux qui sont en position d'influence (artistes, cinéastes, enseignants, prêtres, coach...) devraient lire ce livre qui restera un de mes meilleurs souvenirs de lecture. Paul Bourget est considéré comme un écrivain moraliste, attaché à la tradition et réactionnaire et c'est peut être pour cette réputation qu'il est assez méconnu.
Le Docteur J.... est un esthète il aime tout ce qui est beau artistiquement et moralement parlant mais cela ne l'empêche pas d'avoir une grande tolérance.
Il me raconte ses souvenirs de gynécologue. Il a exercé à ses débuts dans le 18ème et avait une clientèle
constituée de beaucoup de prostituées. C'était difficile pour un jeune médecin sensible de voir la misère sexuelle au quotidien. J'aime l'écouter raconter ses souvenirs de médecin car il le fait
avec beaucoup de sincérité sans me cacher les détails sordides.
Cette période de ma vie professionnelle reste un très bon souvenir. Elle correspond aussi à une des plus belles périodes de ma vie personnelle : la naissance de nos deux enfants, Laurence en 1976 et Grégorie en 1977.
A la naissance de Grégorie, je prends un congé parental et après quatre ans passé au côté du Docteur J.., je le
quitte à regret. Je souhaite m'arrêter au moins un an et je tiens quatre mois sans travailler. Je déprime seule à la maison toute la journée avec mes deux petits trésors. J'ai besoin de
m'investir intellectuellement et activement et je culpabilise de laisser mes petits bouts.
Je me dis que des docteurs J.... je n'en retrouverai jamais mais c'était sans savoir que j'allais rapidement connaître la période de ma vie professionnelle la plus marquante....
A suivre.....