Consultante emploi / La fin des tournesols
Publié le 25 Septembre 2009
Le groupe a de sérieuses difficultés dues en grande partie à une mauvaise gestion
du dirigeant qui a débuté seul son entreprise et s'est vu à la tête rapidement d'une entreprise de 350 personnes. Il a la folie des grandeurs, nos locaux sont luxueux, bien trop
grands..... Je sais que l'aventure va se terminer par un dépôt de bilan..... En 1986 , il donne au bureau de Cergy qui s'est bien développé sa complète indépendance en en faisant un centre de
profit à part entière. Il m'en donne la responsabilité. Me voila promue "B.U. Manager" (directeur de centre de profit). Je précise que nous sommes dans une entreprise franco française mais
que c'est à la mode d'employer beaucoup de termes anglais. Je trouve cela stupide mais je dois bien m'adapter.
J'apprends à faire un "business plan" (prévision de chiffre d'affaires et de dépenses). Je gagne un très gros contrat sur Cergy ce qui est très rare car nos clients avant de nous confier des
affaires regardent nos comptes et quand ils le font ils s'apperçoivent aussitôt que l'entreprise n' a pas d'avenir et donnent le contrat à un autre cabinet. Ce Président de la filiale française
d'une grosse société japonaise n'a pas regardé, je sais que le contact est tout de suite passé. Il n'a rien négocié sur le contrat et nous a fait confiance. Il me reste à reclasser rapidement les
salariés avant le dépôt de bilan annoncé.
Le bureau de cergy conjointement se développe bien. Je renforce l'équipe par l'embauche d'un nouveau consultant, d'une secrétaire et par la mutation à cergy de mon amie Françoise . C'est une
erreur de l'avoir accepté car ce n'est pas facile de manager une amie et pour elle cela est très difficile d'être sous ma responsabilité. En cette période difficile Françoise et moi,
très affectives, nous attachons beaucoup plus que d'habitude aux candidats qui nous sont confiés et perdons le recul que nous avons. Je m'attache particulièrement à Bernard un candidat, c'est le début d'une liaison
passionnelle. Elle me dit qu'elle ne comprend pas ce que je lui trouve. Aujourd'hui je sais qu'elle avait raison. Tout cela entraînera de nombreux nuages dans notre amitié assez
exclusive.
Nous savons que dans quelques mois la société sera dissolue, au mieux reprise, et que nous nous retrouverons toutes les deux sur le marché de l'emploi. Pour faire bien ce métier, il faut être
rassuré sur son propre avenir. Françoise devance et commence à rechercher du travail. Je ne bouge pas et j'attends, on verra bien.
L'entreprise ne paye plus ses factures, nous paye avec beaucoup de retard, Un jour EDF, faute d'être payée, vient nous couper l'électricité à Cergy. Les candidats ne peuvent plus
utiliser les ordinateurs. Je ne veux pas les inquiéter avec les difficultés de l'entreprise. Avec Françoise nous prétextons une panne électrique et un candidat ingénieur nous propose
de tenter de nous dépanner. Je lui réponds que c'est très gentil mais que pour des raisons de sécurité il est hors de question qu'il touche à l'électricité. S'il arrivait un accident je serai
responsable.
Le dépôt de bilan est annoncé. Un administrateur judiciaire est nommé et trois repreneurs se font connaître. L'un des plus gros prétendants à la reprise du groupe, le Président de l'entreprise X,
.... ,qui est capable à lui tout seul de financer la reprise, alors que les autres sont associés à des investisseurs demande à rencontrer tous les BU Manager. Je le rencontre un midi dans son
bureau au siège de son entreprise de communication. Il est petit, habillé d'un costume gris et sur le costume une grande écharpe blanche. Son visage allongé assez rouge éclairé par un regard
souriant pétillant d'intelligence contraste avec sa chemise blanche décorée d'une cravate très classique. Ce Monsieur, un énarque ancien conseiller ministériel, malgré sa très petite taille, a un
charisme certain. Je suis impressionnée mais sa convivialité me rassure et je me sens rapidement à l'aise. Il ne me posera seulement deux questions et je sais que sur les réponses si il obtient
la reprise (il en parait persuadé) , je joue mon avenir.
Dois je fermer le bureau de Cergy me dit il ? Votre Directeur pense qu'il faut le conserver. Qu'en pensez vous. Je lui dis qu'effectivement le bureau de cergy est le seul bénéficiaire
actuellement mais que cela est dû à ce gros contrat que nous avons obtenu et que c'est temporaire et qu'il est urgent de diminuer les dépenses de structure. Je sais que cette réponse peut me
faire perdre mon emploi et celui de ceux qui travaillent dans ce bureau mais si je lui avait dit qu'il fallait le conserver, je n'aurais pas été crédible.
Il me demande ensuite comment je vois l'avenir de mon métier à court et plus long terme. Je lui réponds que les grands groupes qui sont nos clients vont de plus en plus anticiper leur plans
sociaux en développant la mobilité interne grace à une gestion meilleure de leurs compétences et en faisant du préventif de plans sociaux. Il ne dit mot mais je sens qu'il partage mon point de
vue. Il prend congé en me disant à bientôt. Je sors ravie de cet "examen de passage" et en étant optimiste quant à la reprise du Groupe. Quelques jours après les deux autres prétendants
renoncent.
Peu de temps avant le jugement du tribunal de commerce. Nous allons au siège du groupe à Paris pour une réunion de fin. Je revois le président de la société prétendante à la reprise qui me salue
en me demandant "Comment allez-vous chère Madame" mais "très bien cher Monsieur" ..... enfin dans mon fort intérieur je me dis que cela ira beaucoup mieux dans quelques semaines quand je serai
fixée sur mon sort.
Françoise, quant à elle, a retrouvé du travail ailleurs avec un salaire très
important. Il faut dire que Françoise ne fait pas de commercial et que pour bien gagner dans cette entreprise, il faut développer le Chiffre d'affaire. Le Patron sait récompenser les consultants
qui lui apportent le business et je gagne très bien ma vie. Ma dernière prime d'objectif annuelle sera de 90.000 Francs que me règlera l'administrateur judiciaire. Paradoxal, je n'ai jamais
autant gagné que cette année du dépôt de bilan.
Nous sommes très tristes avec Françoises et très émues de la fin de cette aventure. Nous étions très attachées à notre entreprise, à son dirigeant. Nous sortons en dernier de la réunion, il n'y a
plus personne dans le hall d'accueil. Il y a dans un grand vase de superbes faux tournesols (le tournesol était l'emblême du groupe). Personne en vue, je subtilise discrètement deux tournesols
que je cache dans mon manteau pour sortir. Nous éclatons toutes les deux de rire mais un rire proche des larmes. Nous garderons Françoise et moi ces tournesols en souvenir de cette
belle aventure qui se termine. Il faut dire qu'avec Françoise, à chaque fois que nous nous quittons pour les vacances, nous nous envoyons des cartes de tournesol. Je me mets à planter aussi
des tournesols géants dans mon jardin.
Le Tribunal de commerce en 1988 accepte la reprise du Groupe par l'entreprise X..... C'est la fin des tournesols, la fin de ce qui restera ma plus belle période professionnelle et la fin d'une
amitié passionnée. Je continuerai à revoir Françoise et aujourd'hui elle est toujours une amie mais c'est différent.