Bribes d'enfance (2) - La fille de papa
Publié le 20 Février 2010
En septembre 1959, mes parents décidèrent de me reprendre avec eux car ma mère avait arrêté de travailler à la
naissance de ma petite sœur en mars. Ils m'avaient laissé finir l'année scolaire. En plus à 3 semaines, Christine ma petite soeur avait eu la coqueluche et avait failli mourir et par miracle elle
s’en était sortie.
Je me retrouvais donc à Rueil-Malmaison avec mes parents et ce bébé de six mois si souriant et expressif. J'ai tout de suite été séduite. Je la couvrais de baisers. Cela me consola quelque peu d’être éloignée de mes grands-parents et particulièrement de ma grand-mère. J'allais la voir avec mon père le samedi et j'attendais avec impatience les vacances scolaires pour passer quelques jours avec elle comme avant.
Parfois le dimanche nous allions chez mes grands parents maternels à Paris, rue Lamarck, au pied du
sacré coeur. Je n'aimais pas y aller. Les repas étaient interminables. Nous mangions du gibier chassé par mon grand-père. Il y avait encore les plombs dans la viande et je refusais de manger.
J'étais complètement indifférente à mon grand-père qui était d'un abord très froid et assez hautain. J'aimais beaucoup les animaux et je ne lui pardonnais pas de tuer ces jolis perdrix, faisans
et lièvres. Ma grand-mère maternelle était d'un abord agréable et plutôt chaleureux. Parfois elle voulait me garder quelques jours mais je ne la connaissais pas suffisamment, je refusais de
rester et devant mes pleurs, elle y renonçait.
Ma mère était une étrangère pour moi et les relations ne furent pas faciles. Elle s’occupait de moi tout
simplement, m’habillait, me faisait à manger, m’emmenait à l’école et venait me rechercher, m’embrassait furtivement le soir comme par obligation.
Elle était triste en permanence, mangeait peu et souffrait de décalcification. Elle s’occupait bien de ma petite
sœur toute joufflue, souriante et espiègle qui faisait l’admiration des voisins et lui apportait un peu de joie au cœur de sa dépression, son anorexie.
C'est en regardant il y a peu de temps, bien après sa mort, des photos de l'époque que j'ai compris ce dont elle
souffrait (voir photo ci-dessous à gauche qui est plus ancienne mais c'est une des seules que j'ai de ma mère avec celles de son mariage. Depuis mon père
ne la prenait plus en photo)
Mon père s’intéressait peu à ma petite sœur. Il était en admiration devant moi et me gâtait. Ma mère disait que j’étais « la fille à mon père » , ce qui à ses yeux, n’était pas un compliment. Ma petite sœur était la « fille à sa mère ». On aurait dit qu’ils prenaient du plaisir à être indifférent à ce que l’autre aimait, peut être une façon de renier leur couple.
Je changeais d’école et je me retrouvais dans une école publique. Je venais de l’école privée et, à cette époque ou l’école Laïque et républicaine s’opposait vivement à l’école des curés, ce n’était pas un atout et attirait la méfiance, si ce n’est le mépris.
De plus j’étais plus jeune que mes nouvelles camarades puisque j’avais sauté une classe. Je fus
immédiatement le souffre-douleur de l’institutrice qui se plaisait à m’humilier publiquement. Plus de jolies croix sur les tabliers mais un bonnet d’âne sur la tête pour faire le tour de la cour
pendant la récréation.
A la fin de l’année, je redoublais ma classe. Je vécus cela comme une grande injustice. Je m’ennuyais profondément à refaire ce cour élémentaire. La petite fille timide et sage commença à se rebeller et à devenir impertinente, impertinence face à l'autorité que je garde encore aujourd'hui.
Les mois passèrent. Un jour, pendant la classe, je reçus une gifle d’une camarade, je la lui rendis aussitôt.
Malheureusement l’institutrice me vit et me punit en me demandant de conjuguer pour le lendemain la phrase : « je ne dois pas taper mes camarades » à tous les temps de l’indicatif. Je dis à mon père le soir que je ne voulais pas faire cette punition puisque celle qui m’avait frappée en premier n’avait pas été punie. Mon père me répondit que de conjuguer un verbe me ferait du bien mais me dit de conjuguer la phrase suivante « je dois rendre quand on me tape » ce que je fis avec beaucoup de plaisir. Mon père signa cette punition en rajoutant une lettre pour expliquer que c’était lui qui avait transformé la punition. Il se plaignit de l’injustice dont j’étais souvent victime. Il rajouta que lorsque j’étais à l’école privée je n’avais eu aucun problème.
Le lendemain je remis fièrement mais néanmoins avec crainte mon devoir à l’institutrice qui se mit très en colère. Elle alla voir la directrice, mon père fut convoqué et on lui dit qu’il avait insulté l’école publique et qu’il fallait mieux qu’il m’enlève de cette école pour me remettre dans le privé. En d’autres termes, j’étais virée.
Je fus heureuse de quitter cette école. Cette joie ne dura que très peu de temps. En effet, mes parents étaient
pauvres, mon père était archiviste dans une grande banque à Paris, ma mère ne travaillait pas et mon père était dépensier. Les fins de mois étaient difficiles. Heureusement ma grand mère était la
pour les aider financièrement.
Je me retrouvais à l’école Notre Dame avec des petites filles issues des familles les plus aisées de la ville,
fille de médecins, de riches commerçants, d’ambassadeur. Mon père avait eu du mal à m’y inscrire, il avait dû insister. Il ne put même pas avancer l’argument de l’éducation religieuse, il
était complètement athé. Ma mère qui allait à la messe chaque dimanche aurait mieux convaincu cette vieille demoiselle qui menait cette école de façon autoritaire mais étant la "fille de
mon père" et c’était à lui de s’occuper de moi.
J’arrivais de plus avec un capital de méfiance absolu : je m’étais fait virer de l’école de la République.
Une pauvre qui s’était fait virer de l’école publique (qui par définition acceptait tout le monde) ne pouvait être que de la graine de délinquante. Mais on m’accepta par charité chrétienne c’est
ce qui fut dit à mon père et ce qu’on n’arrêta pas de me répéter souvent par la suite dès que je prenais quelques libertés avec les usages.
Je me souviens avec émotion encore aujourd'hui de cette institutrice qui s'était fait voler à l'école une veste de
mouton retournée. Je fus la seule à être interrogée dans le bureau de la directrice comme si il n'y avait que les pauvres qui pouvaient voler.
On m'a accusé aussi une fois d'avoir menti parce que j'avais écrit dans une rédaction que j'avais eu un microscope
à Noël alors que mon père avait des difficultés financières et ne payait pas la pension de l'école (voir article de quai
des rimes)
Il ne faut plus me parler aujourd'hui de charité chrétienne..... Je suis devenue aussi très méfiante avec les
personnes altruistes qu'on qualifie de charitable ou avec ceux qui donnent des leçons de vie ou de morale.
En effet ma mère faisait l'admiration de tous les voisins pour sa grande bonté. Elle faisait les courses de toutes les personnes âgées et aidait tous ceux qui étaient dans la peine. Une façon de se valoriser à ses propres yeux, elle qui avait une image si détériorée d'elle même. La motivation à l'altruisme est souvent très personnelle. Si seulement elle avait pu s'occuper de sa famille comme elle s'occupait des autres.
Mon père se sentait délaissé aussi, il était de plus en plus souvent absent de la maison et passait ses fins de
journée après le travail et ses fins de semaine au café à jouer des parties de belote avec ses copains, à donner de son temps parfois pour l'association des bretons de Paris. Chaque année,
il faisait partie du jury qui élisait la reine des bretons de Paris. Il m'emmenait avec lui à cette cérémonie. Je l'observais regarder ses jolies filles avec un regard d'envie malsaine que je
n'aimais pas et qui m'a rendu méfiante envers les hommes.
Je me souviens, il m'avait emmené avec lui un week-end en province. Nous avions couché à l'hôtel. Il m'avait laissé le soir en me demandant de bien dormir, d'être sage, qu'il allait revenir très vite . Je dormis et me réveillait dans la nuit, il n'était pas rentré, j'étais très angoissée. Il revint au petit matin.
C'est à cette époque que papa se mit à boire ... à boire de plus en plus....