Les hommes de ma vie / L'éléphant dans la porcelaine blanche
Publié le 25 Juillet 2009
Etienne quand il arrive le matin commence par lire les Echos et le Figaro .... Puis il se met lentement au travail. J'ai un bureau individuel adjacent au sien. Il me dit qu'il était auparavant Directeur administratif et financier d'une société d'ingénierie travaux publics. Je comprends pourquoi désormais il m'a choisi sur CV mais si son conventionalisme affiché est adapté à la fonction financière, il me semble n'être pas en phase avec l'environnement chantier.
Il me confie toutes les ressources humaines me disant qu'il m'a choisi pour cela et il me l'avoue, il n'a aucune expérience dans ce domaine. Je suis donc ravie de pouvoir avoir la
responsabilité entière de la fonction et le conseiller dans la stratégie à mettre en place.
Je prends en charge les recrutements, la formation, l'administration du personnel et même la paie. Nous recrutons beaucoup notamment des assistantes, hôtesses, garçons de bureau . Je mène une
étude pour comprendre les raisons d'un turn-over très important notamment chez les hôtesses. Je m'aperçois que les hôtesses aspirent toutes à devenir secrétaires parce que leur rôle
est dévalorisé dans l'entreprise. Elle sont considérées par les secrétaires et le personnel comme une simple vitrine de simples "pots de fleurs".
Une fois la raison comprise, je mets en place des actions de valorisation du rôle de l'hôtesse notamment auprès des secrétaires à qui je demande le midi de remplacer les hôtesses pour se rendre
compte de leur travail. A chaque fois qu'un poste de secrétaire se libère, je le donne à une hôtesse en place et recrute sa remplaçante en vérifiant bien qu'elle n'a aucune velléité à devenir
secrétaire.
Nous essayons avec Etienne de mettre en place des entretiens d'évaluation annuels mais c'est un échec il n'arrive pas à le faire accepter par les autres directeurs associés en réunion du Comité
de Direction dont il est membre. Toutes les décisions dans ce comité sont prises au consensus et s'il n'y a pas consensus il n'y a pas de décision. Beaucoup de projets restent donc en latence à
l'état d'idée. Imaginez combien il est difficile de mettre d'accord 10 personnes dont 5 français et 5 britanniques qui ont des visions très différentes, notamment en ce qui concerne
les ressources humaines.
Etienne s'y prend mal. Il est très maladroit dans le relationnel et essaye toujours de s'imposer en force et dans ce milieu cela ne
fonctionne pas. Je pense qu'il n'est pas aidé non plus par Marc-André, l'ancien Secrétaire Généra, très estimé par tous et qui ne tient pas forcément à ce que son successeur réussisse. Dans
ce contexte Etienne se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il se fait beaucoup d'ennemis. Mon rôle devient plus difficile. J'essaye de ne pas me dissocier de mon patron
sans l'approuver non plus pour ne pas me faire d'ennemis. C'est un rôle délicat mais j'arrive assez bien à me faire apprécier.
Nous quittons le 8èmearrondissement pour une tour de la défense, je me rapproche de mon domicile mais je change totalement d'environnement. Nous avons vue sur tout Paris, des bureaux
climatisés mais en open-space. Le parvis est très venteux et froid l'hiver.
Heureusement nous n'y restons pas longtemps et nous nous installons de nouveau dans le 8ème dans un bel
et vieil immeuble. J'ai un immense bureau avec balcon donnant sur les jardins de la chambre de commerce (voir photo ci-dessous)
Dans l'immobilier , nous déménageons beaucoup !
Je me suis bien adaptée mais c'est une adaptation de surface car au fond de moi, je sens que je ne suis pas dans mon milieu même si la plupart sont agréables avec moi.
Le moins que l'on puisse dire aussi c'est que l'entreprise ne prône pas la diversité. Etienne qui m'énerve de plus en plus m'interdit de recruter des personnes à la peau un peu mate. Il me fait le reproche une fois d'avoir embauché quelqu'un d'origine portugaise assez mat de peau. Je dois également faire attention à la longueur des boucles d'oreille des jeunes femmes et jeunes filles que j'embauche. Je trouve cela tellement stupide que je le provoque volontairement en mettant parfois des pendentifs d'oreille très longs. En rentrant de vacances alors que je suis bien bronzée, je lui demande avec un grand sourire s'il m'accepte encore. Il n'ose rien me dire. C'est lui la carpe. Il n'en pense pas moins. Je saurais beaucoup plus tard, grâce à une indiscrétion d'une responsable d'agence d'intérim, qu'il a essayé de me remplacer en lui demandant de lui trouver une autre assistante ce qu'elle aurait refusé de faire.
Un jour j'embauche un jeune garçon de bureau dont la mission est d'aller aux banques déposer les chèques, aller chez les clients, les
banques, distribuer le courrier, s'occuper de la gestion des véhicules de société. C'est un poste difficile car on m'impose de prendre des personnes qui ont au moins le bac (curieusement je ne
l'ai pas moi-même, je serai plutôt bac-3) qui présentent bien et qui vont toucher un salaire très bas.
Je suis très contente d'un de mes recrutements. Ce jeune homme a le bac, il est très bien habillé, poli courtois. Tout le monde l'apprécie mais c'est évident il est très efféminé. Etienne pour
une fois ne dit rien. Mais c'est le Président qui débarque dans mon bureau en furie et qui me dit avec son accent écossais « je viens de rencontrer dans l'ascenseur un homosexuel,
virez le moi tout de suite, je ne veux pas d'homosexuels dans l'entreprise ». Je suis outrée. J'ai failli lui répondre qu'il en avait bien un (Marc-André) dans son Comité de Direction mais
je m'abstiens. Et oui l'homosexualité bourgeoise est tolérée, celle du peuple beaucoup moins.
J'essaye néanmoins de défendre ce Jeune homme qui est encore en période d'essai mais je n'y arrive pas et Etienne ne me soutient pas.
Je l'appelle dans mon bureau et je dois lui dire que nous ne le
garderons pas. Imaginez ma gêne, ma révolte. Quand il me demande pourquoi, je lui réponds tout simplement que nous n'avons rien à lui reprocher bien au contraire mais qu'il ne
plaît pas à un des associés...... Il me répond "qu'il ne m'en veut pas, qu'il a compris. Il me remercie de l'avoir embauché malgré son homosexualité et il ajoute qu'il est désolé de m'avoir causé
des ennuis.
Etienne a de plus en plus de problèmes avec les autres associés. Même si ce n'est pas pour les mêmes raisons, il est aussi en révolte contre l'entreprise et cela le rapproche de moi. Il se montre
plus amical et se confie même.
La crise économique de 1993 arrive qui touche durement l'immobilier. Nous devons licencier. Chaque mois nous choisissons neuf
personnes pour éviter de faire un plan social et les licencions. Cette pratique me révolte aussi dans une entreprise qui fait encore de beaux bénéfices. Nous les choisissons donc avec
Etienne parmi les plus récemment embauchés. Cela me peine beaucoup de devoir licencier des personnes que j'ai embauchées et qui donnent satisfaction
Je ne suis pas du tout en phase avec les valeurs de cette entreprise et j'envisage de reprendre une recherche d'emploi.
Cela fait plus de trois ans que j'y suis, j'ai réussi à diminuer le turn over des hôtesses et secrétaires. J'ai embauché plus de cinquante salariés avec un succès certains dans mes recrutements.
J'ai créé un journal d'entreprise. Je pense que je pourrai très bien revendre cela à l'extérieur mais comme je n'ai plus envie d'être secrétaire et de dépendre d'un patron, j'ai des
difficultés à entreprendre cette recherche. Les évènements vont m'y pousser.
Etienne un matin m'appelle dans son bureau et me dit qu'il vient d'être licencié, il fera partie de la prochaine liste des neufs mensuels. C'est le Directeur financier
britannique, Henry, qui reprend sa fonction. Il ne sait rien en ce qui me concerne. Je m'attends à y être aussi et cette perspective me réjouit. Enfin je vais pouvoir quitter cette
entreprise.
Dans la journée Henry m'appelle dans son bureau et m'annonce le départ d'Etienne. "Rassurez vous "ajoute t-il "nous vous conservons nous avons besoin de vous pour gérer le personnel mais
plus de recrutement, plus de formation, plus de projets ressources humaines à mener", cela coûte trop cher, vous vous occuperez juste de la gestion du personnel et de la paie
J'aime beaucoup Henry. Travailler avec lui ne me déplait pas. mais en plus de ne pas être d'accord avec les valeurs et la stratégie Ressources Humaines de l'entreprise, je ne peux
accepter un poste purement administratif. Je le faisais avant parce que j'avais autre chose de motivant en plus. C'est ce que lui explique en lui demandant de me mettre sur la liste des 9
prochaines personnes. Il accepte.
Mon départ ennuie Marie-Pierre qui va reprendre la gestion administrative et la paie en plus de son travail avec Marc André. La perspective de travailler avec Henry ne lui plait pas
réellement, comme quoi nous sommes différentes toutes les deux même si nous nous entendons très bien et nous nous apprécions mutuellement.
Je quitte donc cette entreprise où j'ai néanmoins beaucoup évolué et appris. Je resterai pendant des années en contact avec Marie-Pierre et nous déjeunerons souvent ensemble le midi ce qui me
permettra aussi de revoir certaines personnes que j'aimais beaucoup. Je reverrai Etienne aussi ailleurs pour des raisons professionnelles.
Que vais je devenir maintenant ? Vous le saurez à la rentrée.
A suivre.