Je m’appelle Gaëlle et je suis une pipe en bruyère rousse sur laquelle est enfilé un tuyau beige. J’ai une sœur jumelle Maëlle fabriquée de concert avec amour par un artisan jurassien joueur de violoncelle. Nous sommes ses pipes préférées et sommes inséparables.
Comment avons-nous quitté un jour notre belle boîte en bois pour nous retrouver toutes deux prisonnières d’une toile de Magritte « Les deux mystères » ? Je ne m’en souviens plus et Maëlle non plus. Seul le peintre pourrait répondre à cette question mais, hélas, il n’est plus. Cela fait un troisième mystère non élucidé.
J’ai été transformée par l’artiste qui m’a grossièrement dessinée, agrandie et osé retirer mes jolies couleurs en me peignant en gris foncé. Je vole, flotte dans la pièce au-dessus de ma sœur Maëlle qui elle est doublement prisonnière, puisqu’ elle se trouve sur une autre toile de bel effet « la trahison des images » peinte et encadrée à l’intérieur même de la toile où nous sommes toutes deux. Magritte a octroyé à ma sœur une légende surnaturelle « ceci n’est pas une pipe ».
Je me demande comment le peintre a pu ainsi nous séparer et surtout nier l’identité de ma sœur car si elle n’est pas une pipe alors qu’est-elle donc ? Ce doit être le premier mystère de Magritte mais pour moi ce n’en est pas un : Maëlle est bien une pipe, nom d’une pipe, ce n’est pas du pipeau même si elle a la taille de cette petite flûte et qu’on la porte comme elle à la bouche.
Le peintre a reproduit Maëlle d’une manière fidèle et réaliste. Il lui a conservé ses couleurs, ses formes sculptées avec amour par notre créateur. Si ma sœur n’est pas une pipe qui suis-je donc moi Gaëlle complètement métamorphosée de manière irréelle dans ce tableau. C’est sans doute cela le second mystère du peintre victime sans doute de difficultés existentielles.
En y réfléchissant bien Magritte a raison ma sœur n’est plus rien privée de sa fonction essentielle qui est de procurer du plaisir au fumeur qui aime nous bourrer, nous mâcher et pipailler et moi qui parait être irréelle sur la toile, si je ne peux non plus faire la joie du fumeur, je peux faire rêver les visiteurs du musée et les faire réfléchir sur ce qui est réel et ce qui le parait mais ne l’est pas forcément et sur ce qu’ils sont entre l’être et le paraître.
Martine (Mai 2018) pour l'Atelier 63 de Ghislaine (Les 8 mots imposés sont en gras et les mots contenant "elle" sont en rouge) et aussi pour le tableau du samedi de Lady Mariane (avec un peu de retard ou d'avance) . J'évite de publier le samedi et le dimanche jours de repos pour moi où je ne visite pas les blogs.